Les pas perdus de Gao Xingjian
C'est ainsi qu'apparaît Gao Xingjian lorsque refermant la porte sur le monde, il se livre à la peinture. Prix Nobel de littérature
en 2000, dramaturge et metteur en scène, l'écrivain est sans conteste une des consciences du monde moderne. Le parcours éclairé
par La montagne de l'âme et Le livre d'un homme seul, ses deux romans majeurs, s'enracine dans les folies meurtrières du
XXe siècle : de la Chine de la Révolution culturelle à l'enfer de celle de Tian'anmen. Gao Xingjian n'a pas été un témoin
à distance, étranger au monde qu'il décrit et qu'il récuse. Il n'entend pas être un sage dont le savoir l'épargnerait de l'aveuglement.
Au contraire, c'est dans la nudité et la faiblesse de " l'homme sans qualité " que l'écrivain s'est forgé. Les événements
qu'il décrit et qui ont fait basculé son existence, il y a pris une part active avant que de comprendre que la machine totalitaire
à laquelle il apporterait son concours ne manquerait pas de le broyer.
L'uvre de Gao s'inscrit donc dans le champ d'une lucidité critique qui trouvera, sur scène, à exprimer cette fragilité de
la condition humaine face à l'engrenage méthodique des idéologies.
Ma rencontre avec Gao Xingjian, je la dois à l'ULB. À Pierre de Maret qui a invité l'écrivain à rencontrer des membres de
la communauté universitaire, à André Nayer qui a organisé cette table qu'il aurait aimé ronde et à Madeleine Frédéric qui
a eu la gentillesse de m'y convier. La rencontre a été le point de départ d'un travail de recherche qui a conduit à la publication
chez Hazan d'un premier essai consacré à l'uvre peinte de Gao et à une exposition présentée - grâce au concours de la Communauté
française et de Richard Miller son Ministre des Arts, des Lettres et de l'Audiovisuel - au Musée des beaux-arts de Mons jusqu'au
30 mars 2003. Étrangeté de ce que peut susciter une rencontre. Presque un hasard. Celui-ci tient à peu de choses. Une phrase
de l'écrivain qui prit alors une résonance comparable à la phrase, célèbre, de Gallilé face à ses juges : " et pourtant, je
suis peintre
".
En effet, Gao Xingjian fut peintre avant d'aborder l'écriture. S'il fallait en résumer la teneur pour les limites d'un article,
je mettrais deux aspects en évidence. Outre son contenu propre, cette peinture revendique son identité culturelle. Chinois,
l'homme est conscient d'être hors du jeu de l'art tel que l'Occident l'a formulé au fil de sa riche et longue tradition. Il
revendique dès lors la liberté de ne pas en suivre les modes et de ne pas avoir à se soumettre à ses dogmatismes. Pour Gao
Xingjian, l'art contemporain est devenu en Occident l'otage de la pensée. Art philosophique - on disait littéraire au XIXe
siècle, l'évolution est symptomatique -, art conceptuel, art sociologique et tout-venant photographique sont aujourd'hui le
produit d'un consumérisme frénétique et d'un dogmatisme intellectuel sec et superficiel. J'ajouterai, personnellement, que
celui-ci a parti lié avec le monde des idées désormais prisonnier d'une certaine conception de l'université.
De là cette identité orientale ancrée au plus profond de ces tableaux qui ne ferment pas la porte à ce que l'Occident a produit,
mais aspire en jouer et, surtout, à en jouir librement. L'image trouve ainsi chez Gao une double signification : elle est
à la fois identité recomposée et étendue infinie qui se décompose au rythme du regard. Peindre, dit Gao Xingjian, c'est se
défaire du langage. Pour peindre, Gao se met en état d'oubli du langage. Il s'enfonce dans un univers que la musique tisse
jusqu'à l'oubli de soi. Là, le voyage commence. Tout dessin livre une face de Lingshan. De cette Montagne de l'âme qui, par
nature, est toujours plus loin. Dans le déni de l'autre, dans le rejet du collectif, dans le désir de se fondre à la nature
- avec cette déclinaison de thèmes qui va de la mer d'encre à l'idée de la neige en passant par l'engloutissement dans la
fange -, dans l'embrasement du soleil, le peintre cherche la preuve de son existence. Non sa démonstration systématique, mais
son évidence. Cette magie que seul rend le regard. Celui auquel l'exposition espère apporter un moment de plénitude. Rien
d'autre.
Michel Draguet Professeur à l'ULB
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Lorsque l'encre entre au contact du papier de riz. La sensualité laiteuse de ce dernier se met à vibrer alors qu'un fleuve
noir se répand en ses veines sans que le geste ne puisse être totalement maîtrisé. Ou, mieux, le geste est lui même devenu
encre. En s'identifiant au matériau par le biais du pinceau, la main vit au rythme de l'encre. Elle va et vient à fleur de
papier en une lente caresse qui offre au peintre les moyens d'un voyage infini.
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Gao Xingjian
" Le goût de l'encre "
Musée des beaux - arts de Mons
Rue Neuve, 8 à 7000 Mons
Du 14 janvier au 30 mars 2003
Du mardi au samedi de 12 h à 18 h et les dimanches à partir de 10 h
Fermé les lundis et jours fériés
Tarif : 4 euros prix plein - 2 euros prix réduit
Information : 00 32 065 40 53 06
Site internet : www.mons.be
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