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La surdité, au-delà des clichés

Esprit Libre : Vous avez obtenu le Prix Van Goethem pour un projet d'apprentissage de la lecture chez les enfants sourds. Quelle est la spécificité de votre projet ?
Thierry Haesenne : Il s'agirait de faire une étude comparative des différents types d'enseignement chez les jeunes sourds dans plusieurs pays européens, et, à partir de tests effectués, de tenter de trouver une méthode idéale en la matière.

Esprit Libre : Vous êtes licencié en langues et littératures romanes, et avez obtenu un DES en traduction (anglais). Quels sont les problèmes qu'une personne sourde peut rencontrer dans le cadre d'un apprentissage " traditionnel " ?
Thierry Haesenne : Le système actuel n'est pas adapté aux personnes sourdes qui désirent suivre des études supérieures, et de fait les abandons et les échecs sont courants. Il faut une bonne dose de ténacité et de motivation pour en venir à bout. Personnellement, j'ai tenu à prouver à mes détracteurs que je pouvais réussir mes études sans apport pédagogique supplémentaire, et avec beaucoup de volonté. Je conseillerais aux jeunes sourds de ne pas écouter les personnes soi-disant bienveillantes et de suivre leur coeur dans leur choix d'études.

Esprit Libre : Les pays scandinaves sont, dit-on, en avance sur le reste de l'Europe en la matière...
Thierry Haesenne : Les pays scandinaves sont très avancés en ce qui concerne les droits des personnes sourdes. En Finlande, par exemple, il y a 400 interprètes pour une population de 5.000 sourds ! De plus, la Finlande est le seul pays de l'UE avec le Portugal a avoir reconnu la LS (langue des signes) dans sa constitution. La Suède garantit un enseignement intégralement en langue des signes. Cependant, malgré ces points très positifs, il n'existerait actuellement aucune recherche scientifique qui prouve l'efficacité des méthodes d'apprentissage de la lecture chez les enfants sourds.

Esprit Libre : Qu'est-ce qui explique l'analphabétisme majeur observé parmi les personnes sourdes ?
Thierry Haesenne : Les structures grammaticales en LSFB (langue des signes de Belgique francophone) sont très différentes de celles rencontrées en français. La méthode oraliste (qui rejetait tout usage de la LSFB) a eu pour effet d'apprendre aux sourds à articuler des sons, mais sans cohérence aucune. L'apprentissage de la langue même a été délaissé... Ce qui a un double effet pervers : non seulement le sourd ne maîtrise pas le français, mais il n'a pas les bases nécessaires en langue des signes pour apprendre la langue française.

Esprit Libre : Pour un " non sourd ", il n'est pas simple d'imaginer les problèmes qu'une personne souffrant de surdité doit affronter pour apprendre à lire...
Thierry Haesenne : Tout d'abord, la plupart des sourds n'a pas conscience des structures phonétiques et phonologiques des langues parlées, tout simplement parce qu'ils n'entendent pas. Généralement, les sourds ont une bonne orthographe grâce à leur mémoire visuelle, mais ils n'ont aucune conscience des accords grammaticaux.

Esprit Libre : Vous revenez d'un long voyage en Australie. Êtes-vous un grand voyageur ?
Thierry Haesenne : J'aime partir en voyage dès que l'occasion se présente. Je tente souvent de combiner le travail avec le plaisir. Je suis particulièrement intéressé par les différentes méthodes d'enseignement de la langue des signes et de la linguistique de la LS. J'ai profité de mon voyage en Australie pour visiter différents établissements où l'on forme les futurs professionnels de la communauté sourde. Mes destinations favorites sont la Nouvelle-Zélande pour ses paysages et ses sports extrêmes et la Syrie pour la beauté des sites archéologiques, l'accueil de ses habitants et sa nourriture inégalée. Pour mes prochaines destinations, j'hésite encore entre les pays baltes, Chypre et l'Est du Canada. L'Iran et le Bhoutan sont deux pays qui m'attirent beaucoup aussi...

Esprit Libre : Vu du côté des " entendants ", les sourds ont parfois l'air de former une communauté internationale spécifique (la langue des signes ayant de notre point de vue un aspect universel) ? Est-ce bien le cas ?
Thierry Haesenne : Il semblerait qu'il y ait autant de langues des signes qu'il existe de langues parlées. Cependant, certains signes sont quasi universellement compréhensibles. Les sourds de nationalités différentes utilisent soit la langue des signes américaine qui est la langue véhiculaire de base pour les sourds du monde entier, soit ils s'enseignent mutuellement leur langue en un temps record. Généralement, une bonne conversation de base peut s'établir en quelques heures...

Alain Dauchot


Il a travaillé durant plusieurs mois à l'ULB, au sein du Laboratoire de psychologie expérimentale dans le cadre d'un projet d'évaluation des connaissances lexicales en langue des signes chez les enfants sourds en bas âge. Thierry Hasenne a reçu le Prix de la Fondation Van Goethem-Brichant pour un projet qu'il aimerait mener à bien, consacré aux enfants sourds. Souffrant lui-même de surdité, ce jeune homme de 26 ans a déjà un parcours bien rempli ; un bel exemple de volonté et de ténacité.



 
  ESPRIT LIBRE > FEVRIER 2004 [ n°19 ]
Université libre de Bruxelles