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esprit libre

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Donner du sens à l'école

Esprit Libre : On constate de plus en plus une dualisation de notre enseignement. N'a-t-on pas trop longtemps laissé " pourrir " la situation ?
Marie Arena : Je ne pense pas que l'on puisse dire que l'on a laissé réellement pourrir la situation. Nous ne pouvons pas ignorer la dévalorisation des écoles techniques et professionnelles, les effets pervers liés à la " spécialisation " de certains établissements dans l'accueil de populations plus fragilisées. La dualisation de notre enseignement a des conséquences tant éducatives que sociales et comportementales. Nous devons nous attaquer à ce phénomène et supprimer les mécanismes de relégation qui sont à l'oeuvre et qui constituent une forme de violence institutionnelle sous-jacente à certains phénomènes de violence scolaire. C'est une priorité. Dès le milieu des années 90, différents mécanismes de lutte contre la violence à l'école ont été imaginés et mis en place. Je pense par exemple à la médiation scolaire qui a été créée par Élio Di Rupo. C'est d'ailleurs à cette époque (vers les années 92-93) que l'on a pris conscience de cette réalité nouvelle. Je pense aussi au décret du 30 juin 1998 qui a régulé une série de mesures déjà initiées au plan local et qui ont connu depuis plusieurs renforcements. Quant aux réponses à apporter, il faut prendre un ensemble cohérent de mesures qui vont du rétablissement de limites claires et comprises, d'une autorité légitime et crédible, aux pratiques participatives de manière à associer tous les partenaires au projet d'école.

Esprit Libre : La violence serait pour certains élèves une manière de trouver une place, même négative, dans un système qui les accueille mais " qui ne veut pas d'eux ". Comment les aider à retrouver du sens ?
Marie Arena : Redonner du sens à l'école, c'est en effet notre priorité. Il faut tout d'abord que l'enseignement débouche sur l'inclusion sociale, sur un emploi. Cela suppose que la société prenne en compte cette nécessité, dans tous les secteurs. Ensuite, que l'école prépare les jeunes aux emplois offerts, qu'elle les oriente positivement vers des études et des formations porteuses.

Esprit Libre : Les professeurs, éducateurs et directeurs d'établissements vivent souvent la violence en termes de manque de discipline ou d'absentéisme... Comment les aider à gérer ce type de comportements sans pour autant que la répression soit l'unique réponse ?
Marie Arena : Il faut aider les enseignants à prendre en compte les réalités nouvelles. En renforçant par exemple la formation initiale et continuée dans les matières relationnelles et de gestion de groupes. En ce qui concerne l'absentéisme, toutes les forces vives de l'aide à la jeunesse, de la justice et du monde associatif doivent conjuguer leurs efforts pour y remédier. On ne peut pas demander aux enseignants de gérer seuls ce sérieux problème.

Esprit Libre : Certaines catégories d'élèves issus de l'immigration sont souvent stigmatisées lorsqu'on parle de violences dans le milieu scolaire. Pourtant les études prouvent que ce n'est pas l'origine nationale ou socio-économique qui apparaît comme facteur explicatif de la violence, mais la concentration d'élèves plus défavorisés, d'origine étrangère et doubleurs...
Marie Arena : Je suis particulièrement sensible à cet aspect du problème. Il faut absolument rétablir une certaine mixité sociale, empêcher le développement et le renforcement de la concentration homogène de populations scolaires défavorisées... Cela passe aussi par la lutte contre la concentration de populations favorisées. Il faut avoir le courage de s'interroger sur l'élitisme scolaire si l'on veut lutter efficacement contre les ghettos. Notre système scolaire s'est peu à peu transformé en un " quasi-marché ". Il est des écoles au sein desquelles il faut s'y prendre des mois voire des années à l'avance pour pouvoir y inscrire son enfant et, de plus, à la condition de présenter un beau bulletin. Il en est d'autres où l'on aboutit parce qu'on a été exclu ou relégué. Renforcer les moyens alloués aux établissements accueillant la population la plus fragilisée n'est pas suffisant, il faut aussi mettre en oeuvre des stratégies, des incitants, pour aller vers davantage de mixité sociale au sein des écoles. Le contrat pour l'Éducation, actuellement en cours d'élaboration, propose des mesures allant dans ce sens.

Esprit Libre : Cette déclaration commune signée récemment entre la Communauté française, les syndicats et les associations de parents pour réduire l'échec et les inégalités à l'école pourrait donc apporter des pistes de solutions...
Marie Arena : Absolument. C'est d'ailleurs l'un de ses principaux objectifs : réduire les inégalités, réduire notablement l'échec, donner du sens à l'école, permettre à chacun de croire en l'école émancipatrice, casser les ghettos, les images négatives, et effacer les stigmates. Mettre fin à la violence institutionnelle pourra efficacement réduire la violence à l'école. Je suis optimiste car je pense que chacun en est conscient et qu'il existe une réelle volonté de travailler ensemble dans cette direction.

Alain Dauchot


" Violences à l'école " : si l'on est professeur, élève, directeur d'établissement, personnel d'encadrement ou parents, on perçoit cette réalité différemment. Pourtant, les personnes amenées à analyser cet inquiétant phénomène ou à le combattre sont d'accord sur un point : l'école ne pourra éradiquer le fléau de la violence qu'en évoluant elle-même de façon profonde. Et pour cela, elle a besoin d'aide... Viendra-t-elle du politique ? Marie Arena, ministre-présidente de la Communauté française en charge de l'éducation répond à nos questions.



 
  ESPRIT LIBRE > FEVRIER 2005 [ n°28 ]
Université libre de Bruxelles