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Énergie, environnement : l'information ne suffit pas

Posez-vous la question suivante : " Peut-on dire avec certitude que la Terre s'est réchauffée durant le XXe siècle ? ". Une proportion significative de la population n'en est pas convaincue... Pourtant, la température moyenne de notre planète a bien augmenté de 0,6° C en un siècle (et de 0,95° C en Europe). Plusieurs facteurs ont entretenu le doute dans les esprits au sujet de ces faits. Variabilité à court terme en sens divers de la météo comparée aux évolutions à long terme, " scénarios " divers pour le futur, et surtout controverses quant au rôle des activités humaines dans ces modifications. Sur ce dernier point, l'écrasante majorité des climatologues réunie dans le GIEC affirme que l'influence de l'homme sur le climat est bien perceptible (1).

Les connaissances fragmentaires de la population sur l'état du climat ne sont que l'un des aspects du flou entourant d'autres problèmes d'environnement (le mieux compris n'étant pas le " trou " dans la couche d'ozone), ou leurs causes (quels sont les impacts de nos différents comportements ?). L'une des équations souvent admise est alors de penser qu'il faut mieux informer le citoyen pour qu'il modifie son comportement, conduisant de cette façon à des changements d'ensemble. L'analyse montre des relations plus complexes.

Riches, éduqués... et consommateurs

Rappelons d'abord que même avec des connaissances fragmentaires (et après tout, nous en avons tous sur une multitude de questions importantes), le soutien de la population pour des objectifs de protection de l'environnement reste majeur depuis des années (2) . Ensuite, on peut très bien réduire ses impacts sur l'environnement sans connaissances techniques particulières. Cela se passe lorsque des produits moins consommateurs d'énergie ou moins polluants - dits " éco-efficients " - sont disponibles et attractifs sur le marché. Par ailleurs, l'examen plus fin des connaissances et des actes concernant l'écologie révèle un apparent paradoxe : les personnes les mieux informées sont globalement à l'origine de davantage d'impacts. L'explication est simple. Les plus informés sont ceux dotés d'un plus haut bagage d'éducation, qui jouissent aussi souvent de revenus supérieurs à la moyenne. Or, il existe une corrélation très forte entre la croissance du niveau de revenu, donc de consommation, et les impacts sur l'environnement.

Énergie cachée

On ne peut pour autant en conclure que toute information et sensibilisation soit inutile, et le champ à explorer en ces matières reste vaste. Ainsi par exemple, ces dernières années des outils se sont répandus à l'intention du citoyen (après avoir été utilisés pour des entreprises et des institutions) pour qu'il se fasse une idée de ses impacts sur l'environnement ou de sa consommation d'énergie. Sous une forme un peu ludique et très simplifiée, ces tests révèlent des dimensions ignorées de nos actes les plus courants. En matière d'énergie, si l'on imagine sans peine que rouler en voiture ou se chauffer engendre des impacts, on sera a priori étonné de découvrir l'énergie " cachée " incluse dans des produits usuels, du fait de leur production. Un innocent concombre a occasionné des émissions polluantes dans le chauffage de la serre où il a poussé, un joli bouquet de fleurs a fait par avion le voyage vers notre pays, etc.

Organiser le changement

Ces exemples de campagnes d'information, parmi bien d'autres, peuvent sous-tendre chez des individus des modifications de certains de leurs comportements. Mais leur rôle pourrait être surtout de faire évoluer la représentation des problèmes d'énergie et d'environnement, contribuant à ce que ces derniers soient pris en compte de façon organisée par des acteurs qui en ont le pouvoir (pouvoirs publics, entreprises). Car si les instruments dits d'information ont une portée limitée, c'est surtout quand on les compare avec d'autres instruments politiques : réglementaires, économiques, organisationnels, etc.

Une récente enquête menée en Belgique a confirmé encore une fois la demande forte des consommateurs pour des changements organisés par les pouvoirs publics, notamment via la réglementation (3). En conclusion, les changements dans les relations entre production, consommation, et environnement seront bien inférieurs à ce qui est nécessaire, si on ne les attend que d'une collection d'actes de consommateurs individuels, rendus plus savants par de l'éducation à l'environnement. Mais ces actes - éventuellement des expérimentations de changements que nous pouvons chacun tenter à notre niveau - aident à faire avancer ces questions pour mieux bâtir des politiques d'ensemble, indispensables.

Edwin Zaccaï
Directeur du Centre d'études du développement durable (IGEAT) à l'ULB.

Il y a quelques mois, la Commission européenne publiait un " eurobaromètre " consacré aux attitudes des citoyens européens vis-à-vis de l'environnement. Cette étude révélait notamment que les Européens sont de plus en plus conscients du réchauffement climatique et de ses effets. Et qu'ils sont prêts à agir plus et mieux. Mais l'information ne suffit pas : réglementations, instruments économiques sont nécessaires... et demandés par le citoyen. La balle est donc du côté des pouvoirs publics.



(1) Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, http://www.ipcc.ch/ (2) Sondage européen Eurobaromètre 217, " Attitudes des citoyens vis-à-vis de l'environnement ", avril 2005 (3) Centre de recherches et dinformation des consommateurs (CRIOC), " Logiques d'attitudes et de comportements à l'égard de la consommation d'énergie ", novembre 2005

 
  ESPRIT LIBRE > FEVRIER 2006 [ n°36 ]
Université libre de Bruxelles