Opération " Orage du désert "
Esprit Libre : Vous qui travaillez dans la recherche fondamentale, comment vous est venue cette idée aux applications pratiques immédiates
?
Léon Brenig : Ce projet est né à la fin des années 80. Je travaillais en physique des fluides et je m'intéressais aux phénomènes de turbulence
dans les écoulements. On commençait à parler de réchauffement global du climat et les simulations annonçaient une augmentation
de la sécheresse dans les régions arides. J'ai donc fais le lien entre mes recherches théoriques et les préoccupations du
moment.
Esprit Libre : En théorie, votre idée paraît assez simple...
Léon Brenig : L'idée est de construire en zone aride une surface (entre 2 et 3 kms de côté) composée de panneaux noirs rigides. Ces panneaux
capteront un maximum d'énergie solaire, ce qui augmentera leur température d'environ 40 à 50 degrés. La surface artificielle
étant construite près d'une côte, elle bénéficiera du phénomène de brise de mer qui amène l'air humide vers le continent.
Cet air, en se réchauffant, va se dilater et monter. La température diminuant avec l'altitude, l'air humide atteindra le niveau
où la vapeur d'eau se transforme en gouttelettes liquides, ce qui forme un nuage. Ces nuages déplacés par le vent soufflant
de la mer formeront des rangées de 20 à 30 kms de long et produiront de la pluie sur une surface d'environ 60 à 90 kms2. Il
pleuvera plusieurs heures chaque jour durant la bonne saison sur ces zones.
Esprit Libre : Votre idée, en fait, n'est pas totalement neuve...
Léon Brenig : En effet, après avoir eu cette idée, j'ai constaté que des ingénieurs américains avaient imaginé un système assez similaire.
Un article publié en 1963 dans Science fait état du projet de créer, dans le désert, une surface asphaltée sur des superficies
considérables. Mais à l'époque, les moyens de s'assurer du bon fonctionnement du dispositif n'existaient pas encore. Or, le
coût d'une telle opération n'est pas négligeable....
Esprit Libre : Qu'est-ce qui a changé ?
Léon Brenig : Il faut pouvoir prédire les mouvements de l'air sous l'effet de la chaleur fournie par le sol. À cette fin, on doit réaliser
des simulations à l'aide d'ordinateurs, sur base des équations physico-mathématiques de la météorologie. Aujourd'hui, les
ordinateurs les plus puissants permettent de résoudre de telles équations, pas en 1963. D'autre part, depuis quelques années,
la NASA ainsi que d'autres équipes étudient intensivement un phénomène lié aux grandes villes : la chaleur qu'elles accumulent
et ensuite dégagent dans l'air produit de la pluie dans leurs environs. Ce phénomène, en moins intense, est exactement le
même que celui que nous voulons domestiquer. Les données accumulées sur ce phénomène urbain ainsi que celles obtenues lors
des simulations par ordinateur nous permettent de connaître les conditions de fonctionnement de notre projet. Il offre désormais
suffisamment de garanties pour que des décideurs politiques puissent l'adopter.
Esprit Libre : D'autres avantages à votre système ?
Léon Brenig : Les panneaux produiront également de l'énergie électrique car ils seront partiellement recouverts de cellules photovoltaïques.
Cette énergie servira à l'exploitation agricole liée au projet.
Esprit Libre : Quelles sont les régions potentiellement visées par le procédé ?
Léon Brenig : Les régions côtières arides subtropicales et tropicales : Afrique du nord, Proche-Orient, zones côtières du Kalahari, Chili,
Pérou, nord du Mexique, nord-est du Brésil.
Esprit Libre : Israël est d'ores et déjà intéressée par le système...
Léon Brenig : Nous sommes effectivement dans une phase d'élaboration d'un prototype dans une zone du Néguev, qui va nécessiter un budget
de près de 80 millions d'euros. Depuis le début de ce projet, nous travaillons avec le professeur Z. Offer du Blaustein Institute
for Desert Research (Université Ben-Gourion, Israël), un des grands centres mondiaux d'étude des déserts, avec l'Institut
national d'agronomie israélien ainsi qu'avec une compagnie israélienne de pointe spécialisée en panneaux solaires. Mais d'autres
pays sont également intéressés, comme l'Espagne dont de nombreuses régions souffrent de désertification avancée, ou la Roumanie.
Esprit Libre : Vous travaillez aussi en collaboration avec d'autres collègues de l'ULB...
Léon Brenig : Effectivement, plusieurs chercheurs de notre Service ont contribué à la construction d'un cluster de 100 ordinateurs installé
au Solbosch permettant de simuler des phénomènes hydrodynamiques à volonté. Ceci nous permet d'effectuer les simulations nécessaires
au projet.
Esprit Libre : Il y a d'énormes perspectives, notamment économiques...
Léon Brenig : Absolument. Nous mettons actuellement au point un brevet. Pour le moment, nous disposons de budgets très limités. Mais nous
avons introduit des demandes de financement plus importants auprès d'organismes nationaux, internationaux et privés. Il est
clair que les investissements consentis devraient être rapidement récupérés.
Alain Dauchot
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Créer artificiellement des nuages pour faire pleuvoir dans le désert... Ça ressemble au rêve d'un poète, à une chimère. Pourtant,
cette idée n'est ni un délire, encore moins un mirage. Celui qui l'a lancée est chercheur et professeur à l'ULB, à la Faculté
des Sciences. Rencontre avec Léon Brenig, physicien-théoricien qui, tel un chaman des temps modernes, pourrait bien faire
tomber la pluie dans le Néguev...
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