Christian Dotremont : une écriture Cobra
Né en 1922 et disparu en 1979, Christian Dotremont est resté dans les mémoires comme le fondateur de Cobra (1948-1949) aux
côtés d'Asger Jorn. Mais l'oeuvre et la démarche de Dotremont sont d'une autre ampleur. Elles témoignent de l'évolution d'une
conscience qui, au sortir de la guerre, entend renouer avec la culture des avant-gardes et la modernité avant de s'en dégager.
Ce retrait, symptomatique d'une culture qu'on qualifierait de postmoderne, a été dicté par le désenchantement qu'entraîne
au seuil des années cinquante l'impossible dialogue de l'art et de la révolution, de la poésie et d'un marxisme figé en stalinisme.
Du surréalisme revendiqué aux heures sombres de l'Occupation à Cobra, Dotremont a fait de l'acte créateur une morale en prise
sur la vie. De là, cette défiance à l'égard des musées ou de l'université, dont la spécialisation radicale apparaît à ses
yeux comme un signe de déshumanisation.
Couleurs du désir
Pour Dotremont, la création doit jaillir de la vie. Elle répond à une mission révolutionnaire : accorder l'avenir aux couleurs
du désir. Ainsi, l'homme nouveau - c'est-à-dire conquis au communisme - se libérera de la malédiction du passé pour définir
un avenir nécessairement différent.
L'enthousiasme est de génération. Dotremont va rompre peu à peu avec ses aînés et avec le surréalisme pour défendre une esthétique
qui allierait le geste pictural au verbe émancipé, l'humour à l'amour dans un élan collectif. Au travail en commun répond
la fusion de l'écriture et de la peinture.
Pourtant, dès 1950, l'enthousiasme refroidit. Le communisme révèle sa face obscure et Dotremont peu à peu s'en dégage. Est-ce
un hasard si ce moment charnière placé sous le signe de l'amour - avec l'irruption, vite malheureuse, de Bente qui, pour Dotremont,
incarnera l'éternel féminin sous le signe de Gloria - s'apparente au règne de la catastrophe. Dotremont est atteint de la
tuberculose.
À partir de ce moment, le poète va devoir se recomposer. Surmonter la maladie - qu'il exorcise dans son unique roman La pierre
et l'oreiller publié en 1953 chez Gallimard - et redéfinir une identité chancelante. Long, le processus passe par l'image.
Les collaborations nouées avec les peintres ouvrent à Dotremont la voie pour mener la poésie vers d'autres moyens. Deux collaborations
décisives voient le jour qui renouvellent celle initiée au sortir de la guerre avec Jorn. Que ce soit avec Pierre Alechinsky
ou avec Serge Vandercam, Dotremont creuse la valeur formelle de l'écriture. Il la dompte en gestuel qui griffe la toile, balafre
le papier. Il s'y soumet aussi en calligraphe sensible qui pressent dans la maîtrise de la main un temps d'harmonie solaire.
Pleure, mais fonce
Celle-ci requiert un espace. À partir de l'hiver 1956-1957, ce sera la Laponie où Dotremont s'enfuit pour vivre au rythme
de la nature, où la neige offre son tapis de papier, où le geste se déploie dans l'origine recouvrée. En 1962, la quête de
Dotremont aboutit. Le logogramme constitue un aboutissement en même temps qu'une fête sans cesse recommencée. Investi par
la main, dans l'inflexion de l'encre, dans la sensibilité du pinceau ébouriffé, dans la chaleur d'un trait, le mot donne à
l'homme sa plénitude.
Conçus et dirigés par Paul Aron et Michel Draguet, l'exposition et l'ouvrage qui l'accompagne retracent ce parcours en lui
donnant une dimension à la fois humaine et spectaculaire : oeuvres, documents, livres, mises en scène et projections permettent
de pénétrer l'imaginaire d'un homme blessé qui n'a pourtant jamais renoncé à l'espoir. Alors que le musée d'Ixelles présentera,
à partir de la fin mai, l'exceptionnelle collection de logogrammes de Pierre Alechinsky, la présente exposition s'attache
à la trajectoire du poète. Fulgurante et tragique celle-ci n'est pas moins riche. Comme le dit un de ses logogrammes : " pleure,
mais fonce ". Un programme en même temps qu'une morale de vie.
Michel Draguet Professeur en Histoire de l'Art
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Le Musée des Beaux-Arts de Mons accueille du 27 mars au 21 juin la première rétrospective consacrée à Christian Dotremont.
Réalisation de l'Université libre de Bruxelles, celle-ci a été l'occasion d'un travail pluridisciplinaire mené entre littérature
française et histoire de l'art. Riche en oeuvres de grande qualité, l'exposition met en scène la vie de Dotremont en s'attachant
aux principales étapes d'un parcours qui allie rigueur intellectuelle et liberté créatrice.
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Exposition Christian Dotremont : les développements de l'oeil
Musée des Beaux-Arts de Mons
Du 27 mars au 21 juin 2004
Du mardi au samedi, de 12h à 18h
Infos : 065 40 53 06
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