Connue pour avoir mis en place les 35 heures dans le cadre du gouvernement Jospin, Martine Aubry, est, depuis quelques années, la cheville-ouvrière de la ville de Lille avec laquelle notre capitale, et notre Université en particulier, entretiennent de nombreuses relations. C'est aussi la première personnalité politique accueillie dans le cadre de " Cultures d'Europe ", après la venue de plusieurs écrivains et philosophes. " Cultures " et " Europe " : deux mots qui vont bien ensemble, souligne celle qui est fière du statut actuel de sa ville, "capitale européenne de la culture" pour 2004. Ce qui frappe d'emblée dans le discours de Martine Aubry, c'est le côté concret des choses qu'elle évoque, n'hésitant pas à utiliser nombre d'exemples vécus au quotidien dans le cadre de la gestion de sa ville pour illustrer son propos. Une approche sympathique et rafraîchissante...

Sens du collectif

Notre Europe va mal, elle a des pertes de mémoire... Elle oublie lentement ce qui hier unissait les générations, ce passé commun pétri d'humanisme, ces racines plantées dans le terreau de la Renaissance. Et Martine Aubry de rappeler ce qui fit la richesse de l'Europe, ce mixage d'influences, de la Cité grecque aux Lumières, en passant par les valeurs chrétiennes, l'influence de l'Islam et le combat ouvrier du XIXe siècle. Les valeurs de l'Europe sont nées de ces méandres, de ces métissages et ont une finalité : l'Homme.

Aujourd'hui, le sens collectif bat de l'aile. Nous assistons, souvent impuissants, à la désagrégation de notre société, qui se traduit par la violence urbaine, l'abstention, la montée de l'extrême-droite... Ce qui a fait la spécificité de nos valeurs européennes ne se retrouve plus appliqué dans nos vies de tous les jours. L'idée de progrès social pour tous ne devrait pas rester formelle : il nous faut retrouver et appliquer un volontarisme transformateur pour mieux vivre ensemble et réaffirmer que l'homme est la finalité de notre société.

Émancipation

Pour y arriver, il faut voir plus loin que la vision à court terme d'une Europe libérale, nous dit Martine Aubry, qui pour illustrer son propos rappelle que dans tous les domaines, les budgets de recherche ont diminué, ce qui est symptomatique. Les pays développés - pas seulement l'Europe - doivent retrouver une ambition, celle du collectif, sortir du " tout à la consommation ", retrouver le sens du mot solidarité, dans le cadre de la famille d'abord, de la société ensuite. Les gens qui vivent le chômage, la ségrégation dans les quartiers, la remise en cause des systèmes de protection sociale se sentent angoissés, humiliés, abandonnés. Leur émancipation ne se fera qu'à l'aune d'une solidarité retrouvée. Dans les villes italiennes de la Renaissance, les couches sociales étaient mélangées. Aujourd'hui, la proximité attise les tensions. L'individualisme de ceux qui vont bien augmente, tandis qu'on assiste au repli de ceux qui vont mal. Les extrêmes gagent du terrain.

Société du paraître

Nous vivons aussi un temps du paraître, celui de la communication, de l'effet d'annonce qui prend le pas sur les faits. La canicule de l'été aurait ainsi été une " erreur de communication du gouvernement ". Et pas la traduction d'une absence de solidarité familiale, voire de l'incurie d'un gouvernement. Martine Aubry évoque également la disparition de la morale, en politique et dans la vie de tous les jours. La " débrouille " - ces petits pas de côtés que chacun se permet et qui finissent par pourrir le sens du bien commun - devient la règle, au détriment de la loi.
La politique doit montrer l'exemple : il faut redonner l'envie de la démocratie, du débat public, du civisme. Martine Aubry regrette d'ailleurs que le projet de Constitution européenne ait été mis sous le coude. Même si il n'était pas parfait, dit-elle, il aurait eu le mérite de repositionner l'Europe, notamment sur le terrain international.
Martine Aubry souligne encore que tout ne pourra être réglé par le politique, comme tout ne sera pas réglé par le droit, la police ou la justice. À chacun de retrousser ses manches pour retrouver le sens de nos valeurs : redevenez citoyens !, nous lance-t-elle.

Alain Dauchot

Prochain invité
Né en 1960, normalien, agrégé de philosophie, docteur, Eric-Emmanuel Schmitt a écrit plusieurs romans et essais ; il est également l'auteur d'une dizaine de pièces de théâtre. Il s'est d'abord fait connaître au théâtre avec Le Visiteur, Variations énigmatiques, etc. Ses pièces ont été récompensées par plusieurs Molière et le Grand Prix du théâtre de l'Académie Française. En dix ans, il est devenu un des auteurs les plus joués en France et à l'étranger. Une trentaine de pays ont déjà présenté ses pièces. Sa brillante carrière de romancier débute avec La Secte des Égoïstes. Il a publié, en 2002, Lorsque j'étais une oeuvre d'art aux Éditions Albin Michel. Ses trois thèmes de prédilection sont la musique, la théologie et la métaphysique.
Eric-Emmanuel Schmitt viendra parler de " L'écriture théâtrale, l'écriture romanesque ", le 5 mai prochain, dans le cadre de Cultures d'Europe.
Infos : Service cérémonies 02 650 23 03