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esprit libre

[à l'université]
 
 
 
Obésité et manque de sommeil : le (bon) profil du dormeur

Esprit Libre : Vous publiez une étude dans les " Annals of Internal Medecine " sur les liens entre l'obésité et le manque de sommeil. Qu'est ce qui vous a amené à réaliser des expériences sur le sommeil ?
Karin Spiegel : En 1996, en postdoc à l'Université de Chicago, j'ai été impressionnée par le nombre de gens qui dormaient moins de 6 heures par nuit. On considérait alors qu'une restriction chronique de sommeil n'avait aucun impact sur la santé. Ayant montré dans ma thèse que le sommeil modulait les sécrétions endocriniennes, j'avais le sentiment que cette théorie pouvait être erronée. Nous avons donc évalué les effets d'une restriction de sommeil sur le système endocrinien, le métabolisme glucidique, la fonction immunologique et la fonction cardiovasculaire. Il s'est avéré que chez des sujets jeunes et en bonne santé, un manque de sommeil est associé à des perturbations importantes de ces fonctions physiologiques, semblables à celles habituellement observées chez des sujets âgés. Ces résultats suggéraient donc qu'une dette de sommeil est susceptible d'augmenter la sévérité de maladies associées au vieillissement, comme l'obésité, le diabète, l'hypertension, la vulnérabilité aux infections... D'autre part, des études épidémiologiques récentes suggéraient un lien entre l'épidémie d'obésité aux États-Unis et la réduction concomitante du temps consacré au sommeil. Nous avons donc tenté d'explorer les liens éventuels entre ces phénomènes en évaluant l'impact d'une restriction de sommeil sur la régulation neuroendocrinienne de l'appétit.

Esprit Libre : Quelles expériences avez-vous menées ?
Karin Spiegel : Nous avons soumis 12 hommes jeunes, en bonne santé, sans surcharge pondérale, à des restrictions (2 nuits de 4 heures au lit) et extensions (2 nuits de 10 heures au lit) de sommeil, tout en veillant à ce que l'activité physique et l'apport calorique soient similaires dans les deux conditions. Nous avons mesuré les taux de leptine (hormone produite par le tissu graisseux, inhibant l'appétit) et de ghreline (hormone sécrétée essentiellement par l'estomac, stimulant l'appétit), tout en faisant remplir des questionnaires de faim et d'appétit.

Esprit Libre : Comment s'est réparti le travail entre Chicago et Bruxelles ?
Karin Spiegel : Les collaborations existent depuis 20 ans entre nos deux universités. Notamment avec le professeur Van Cauter, actuellement professeur visiteur chez nous. J'ai effectué les expérimentations cliniques à l'Université de Chicago, qui a mis gratuitement à ma disposition l'infrastructure hospitalière (en infirmières et en matériel). Les analyses hormonales ont été réalisées et analysées à l'ULB grâce à des crédits du FNRS.

Esprit Libre : Quels ont été les constats de cette étude ?
Karin Spiegel : Après 2 nuits de restriction de sommeil, nous avons constaté une diminution de 18 % de la leptine, une augmentation de 28 % de la ghreline, une augmentation de 23-24% de la faim et de l'appétit (surtout pour des aliments riches en graisses et en sucres : + 33-45%). Fait à souligner, l'augmentation de la faim était proportionnelle à l'ampleur des modifications hormonales.

Esprit Libre : Peut-on dès lors parler d'un facteur déterminant de l'obésité ?
Karin Spiegel : Déterminant je ne pense pas, " contribuant ", certainement ; d'autant plus que nos résultats ont été confirmés par la publication simultanée du travail d'un groupe de l'Université de Stanford. Cette étude - moins approfondie que la nôtre mais impliquant plus de 1000 sujets -, a montré que plus la durée de sommeil est courte, plus les taux de leptine sont bas, plus les taux de ghreline sont hauts et plus l'excès pondéral est élevé.

Esprit Libre : Ces expériences en appellent-elles d'autres ?
Karin Spiegel : Même si nos résultats ont été globalement confirmés par le groupe de Stanford, ils restent préliminaires et doivent être confirmés. Il faut également étendre ces investigations aux femmes, aux sujets plus âgés, à ceux présentant des pathologies du sommeil, ce que nous avons commencé à faire depuis quelques mois. J'ai pu obtenir pour ce projet un crédit du NIH (National Institutes of Health) américain, ce qui nous permet de réaliser ces études à l'ULB.

Esprit Libre : Est-ce qu'on pourrait imaginer demain, qu'à titre préventif, pour les personnes à risques en matière d'obésité, les médecins prescrivent des heures de sommeil à prester... ?
Karin Spiegel : Je l'espère (rires) ! En tout cas, il faudrait ajouter aux prescriptions de régime et d'exercice physique des conseils comportementaux concernant le sommeil.

Alain Dauchot


" On est foutus, on mange trop " chantait Souchon... L'obésité est devenu un problème de société non seulement en Amérique mais également en Europe (43 % des Belges seraient en surcharge pondérale). Mais la nourriture trop riche ne semble pas être la seule cause du phénomène... Karine Spiegel est responsable du groupe de recherche sur le sommeil et la neuroendocrinologie au Laboratoire de physiologie de l'ULB. Elle vient de publier une étude, en collaboration avec l'Université de Chicago, sur les liens entre le manque de sommeil et l'obésité. Une découverte qui se révèle des plus intéressantes...



 
  ESPRIT LIBRE > MARS 2005 [ n°29 ]
Université libre de Bruxelles