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Au pied de l'arbre : quand ingénieurs civils et bioingénieurs travaillent de concert

Depuis le développement de la mécanisation en agriculture, il est reconnu que le trafic des engins affecte le développement des cultures par la compaction du sol qu'il crée. Ceci se constate également pour les sols forestiers, entre autres à l'occasion du débardage des grumes. Cette compaction sous l'effet d'une pression ou contrainte qui s'atténue ou disparaît ensuite est bien connue et étudiée par les mécaniciens des sols dans le domaine du génie civil où elle porte le nom de surconsolidation. En agronomie, celle-ci affecte les propriétés du sol et par là le développement et le fonctionnement racinaire.

Remédier au dépérissement des arbres nécessite d'envisager le problème dans sa globalité en prenant également en compte les interactions sol-racine. Pour affronter la complexité du milieu urbain dans lequel se développent les arbres de nos villes, l'approche sera donc pluridisciplinaire. C'est le point de départ de la collaboration entre d'une part la mécanique des sols (Prof. Jean-Claude Verbrugge) qui a apporté ses équipements et son expérience de la compaction des sols et, d'autre part, celle de la physiologie végétale (Dr Ir Murielle Eyletters) .

Des centenaires bousculés...

Dans le cas de travaux de voiries de grande ampleur tels que l'installation de voies de tram situées sur le Bd du Souverain à Bruxelles, le Laboratoire de mécanique des sols a fourni l'approche géotechnique de l'étude dans le cadre d'un mémoire de fin d'étude sur l'effet des contraintes induites par le passage du tram sur la porosité et la compacité du sol. La surconsolidation mémorisée par le sol a été déterminée expérimentalement. Ceci permet de connaître le niveau de contraintes à partir duquel on passe de l'état élastique (réversible) à l'état plastique (irréversibles) du sol. La comparaison avec le calcul numérique des contraintes induites par la voie de tram permet d'évaluer l'importance de la compaction irréversible que celle-ci induira. À partir de là, on a établi une corrélation avec la vitalité des arbres centenaires se trouvant à quelques dizaines de centimètres du chantier. Il est dès lors possible de vérifier indirectement si les capacités de prélèvement du système racinaire des arbres ont été perturbées.

...mais pas trop

Selon les résultats obtenus lors de la modélisation à l'aide du logiciel Plaxis, le passage du tram réparti sur les rails et traverses aurait une influence négligeable sur la variation de porosité du sol et par conséquent sur le système racinaire et la vitalité des arbres. En effet, compte tenu de la compaction existante, les variations volumiques observées au niveau de la zone racinaire ne sont que de l'ordre de 10-3 %.

Toutefois, l'attention a été attirée sur les effets de passage d'engins lourds en cours de réalisation du chantier qui pourraient atteindre les limites plastiques du sol. Un suivi de la vitalité des platanes devrait être envisagé sur le long terme car il est fort probable que les effets négatifs (s'il devait y en avoir) pourraient se manifester dans le futur. Il est possible de renforcer la vitalité de ces arbres centenaires en injectant des engrais dans le sol appauvri au cours du temps. Des mesures de fluorescence chlorophyllienne ont permis un suivi dans le temps de l'efficacité de ce type d'intervention. Des résultats encourageants montrent que la revitalisation est possible bien que des interrogations restent quant à la composition, la dose et le moment d'application optimal.

Cet exemple d'étude permet de démontrer l'utilité de collaborations a priori inattendues, comme par exemple des ingénieurs civils et des ingénieurs agronomes. Ce type de collaboration permet d'avoir une vue d'ensemble d'un problème complexe ; les travaux de voiries entamés étaient nécessaires, mais il fallait tenir compte de l'ancienneté des arbres qui s'y trouvaient, de manière à ne pas perturber irrémédiablement leur milieu de croissance et de les vouer à une mort certaine.

Dr Ir Murielle Eyletters
Service de mécanique des sols

Prof. Jean-Claude Verbrugge

La santé et la viabilité des végétaux dépendent de très nombreux facteurs. C'est ainsi qu'à l'ombre des arbres centenaires du boulevard du Souverain, une collaboration s'est nouée entre l'agrotechnologie végétale et la mécanique des sols de l'ULB. Une rencontre fructueuse entre bioingénieurs et ingénieurs civils.



 
  ESPRIT LIBRE > MARS 2006 [ n°38 ]
Université libre de Bruxelles