[page précédente]    [sommaire]    [page suivante]  
esprit libre

[à l'université]
 
 
 
TÉLÉVISION DU MONDE Pour une " Télé-fenêtre ", associative et citoyenne

Esprit libre : Que diriez-vous du paysage audiovisuel belge actuel ?
Jean-Jacques Jespers : Comme partout en Europe occidentale, il se caractérise par une homogénéisation de l'offre : le contenu est principalement centré sur le divertissement et l'information voit la place qui lui était accordée régresser. On insuffle à l'information les caractéristiques du divertissement comme par exemple, l'utilisation de la fiction. La consommation d'information est également en baisse. Les séries, le sport, les téléfilms, les docu-fictions et les magazines de divertissement utilisant l'info comme matière première obtiennent de très bons chiffres d'audience. Le secteur privé, renforcé par l'apparition de nouvelles chaînes, n'a cessé de gagner des parts de marché ces trente dernières années et les chaînes publiques sont devenues minoritaires. Le paysage se caractérise donc par un émiettement, un morcellement des chaînes offertes par plusieurs types de supports.

Esprit libre : Quels sont les plus gros défauts de la télévision d'aujourd'hui ?
Jean-Jacques Jespers : Le paysage télévisuel actuel n'offre pas de place à un contre-discours : tout le monde dit à peu près la même chose, partage la même vision du monde et cherche à ne pas être trop différent des autres. Le pluralisme des idées est de moins en moins rencontré par la télévision et sa fonction sociale n'est pas remplie, surtout lorsque l'on sait que 60% des Belges se contentent de la télé pour leur information. Les chaînes jouent la carte de l'émotion et du sensationnel et font tout pour rester consensuelles. La télévision ne cherche plus à nous ouvrir sur le monde, elle tend à nous renfermer sur nous-mêmes. On est donc passé de la " télévision-fenêtre " à la " télévision-miroir ". De plus, on utilise les recettes les plus éprouvées afin de gagner de l'audience : l'originalité est rarement présente car les nouvelles idées et les nouveaux formats représentent un risque. Ces constats légitiment l'idée de Télévision du monde.

Esprit libre : Quel genre d'émissions les téléspectateurs n'ont pas encore l'occasion de regarder ?
Jean-Jacques Jespers : La réalité des pays du Sud vue par leurs habitants est totalement absente des écrans. L'analyse et l'explication des enjeux a également une place très limitée. Tout ce qui demande un minimum d'attention de la part du téléspectateur est placé à des heures tardives ou négligé dans la programmation. Cependant, offrir ce que l'on ne trouve pas encore sur les chaînes dominantes ne signifie pas forcément que le public adhérera.

Esprit libre : Où Télévision du monde entend-elle se positionner ?
Jean-Jacques Jespers : Elle sera alternative, associative, sans doute altermondialiste et auto-financée par un système de cotisations et de participation du public. Son comité fondateur espère obtenir des subventions publiques dans la mesure où elle remplirait des missions de service public.

Esprit libre : Et quels sont les éléments nécessaires à son lancement ?
Jean-Jacques Jespers : Tout d'abord un budget. Télévision du monde dépend également de la conviction et de l'investissement des associations et des ONG sollicitées. Cette conviction sera-t-elle assez forte pour que les associations se mobilisent sans pouvoir tout contrôler ? Le défi est de conserver l'indépendance éditoriale et l'autonomie de programmation tout en étant en phase avec les ONG. Et il me semble important de leur associer le réseau associatif traditionnel - syndicats, coopératives, mutuelles, etc. - ainsi que les universités qui constituent un réservoir de ressources extraordinaires en terme de savoirs et de public. Comme c'est si bien écrit sur le site Web, " Si vous rêvez à plusieurs, c'est la réalité qui commence "...

Amélie Dogot

Les téléspectateurs belges déçus par les programmes actuels pourraient très bien trouver leur bonheur parmi les chaînes belges : un projet de média qui ferait écho de " la voix de tous ceux qui portent le rêve d'un autres monde " est actuellement en gestation. Le point sur la télévision d'aujourd'hui et sur ce que cette chaîne alternative pourrait lui apporter avec Jean-Jacques Jespers, professeur à l'École de journalisme de l'ULB et signataire du texte fondateur de " Télévision du monde ".



Infos : www.televisiondumonde.be

Paul Wattecamps, l'initiateur
Réalisateur aux Facultés universitaires Notre-Dame de la paix de Namur pour FAC Télévision, Paul Wattecamps est le concepteur du projet " Télévision du monde ". Traversant une " crise de la quarantaine " lors du passage à l'an 2000, il s'est demandé ce qu'il pourrait faire pour relever les défis du XXIe siècle. Le déclic lui est venu à l'écoute des tristement célèbres propos tenus par Patrice Le Lay, patron de TF1 : " Le métier de ma chaîne de télévision est de vendre à Coca-Cola du temps de cerveau humain disponible ". Une autre approche de la communication télévisée lui est apparue nécessaire et il s'est alors tourné vers ceux qui allaient devenir les signataires du texte fondateur de Télévision du monde. Les professeurs de communication/journalisme et de pédagogie ont rapidement répondu à son appel car ils sont nombreux à s'interroger sur l'utilité sociale et politique des émissions éducatives et d'information diffusées sur les chaînes existantes. Paul Wattecamps estime que les universités notamment ont énormément à apporter à ce projet.

 
  ESPRIT LIBRE > MARS 2007 [ n°47 ]
Université libre de Bruxelles