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Conseil européen de la recherche Un pari sur l'excellence

Esprit libre : Initiative de la communauté des chercheurs européens, soutenue par les commissaires Busquin et Potocnik, le Conseil européen de la recherche (ERC) constitue un pas important dans la concrétisation de l'espace européen de la recherche et un tournant dans la politique communautaire de recherche. Pourquoi ?
Mathias Dewatripont : Par ses objectifs d'abord, qui visent à combler un déficit d'opportunités, en termes de carrière, pour les jeunes chercheurs au-delà du postdoctorat ; une situation responsable d'un phénomène de " brain drain " vers d'autres régions du monde ou secteurs d'activités. Avec l'ERC, il s'agit de financer une recherche fondamentale d'excellence, sur base d'une concurrence européenne, sans quotas nationaux. C'est rompre également avec la logique des programmes-cadres et la règle de la subsidiarité qui s'est traduite pour la recherche, jusqu'au 6e PCRD, dans un cadre balisé par la mobilité, la constitution de réseaux multinationaux, des priorités thématiques et une adéquation aux objectifs de compétitivité de l'UE, avec une orientation très marquée vers la recherche industrielle. Dans la ligne du Rapport Sapir, ce pari de l'ERC sur la valeur ajoutée à financer la recherche frontière et à un niveau concurrentiel européen s'inscrit bel et bien, lui aussi, dans le processus de compétitivité.

Esprit libre : Les maîtres-mots de la stratégie de l' ERC pourraient se résumer par excellence, autonomie, créativité et flexibilité ?
Mathias Dewatripont : Oui, au lieu de se baser sur les concepts de mobilité, de réseaux, de redistribution régionale, on privilégie une approche " bottom up " de confiance aux chercheurs pour aider les meilleurs d'entre eux au niveau européen à mener à bien la recherche qu'ils ont envie de faire, et ce au moment-clé de la transition vers leur indépendance et la direction d'une équipe.

Esprit libre : Quel est le budget de l'ERC ?
Mathias Dewatripont : 7,5 milliards d'euros pour la période 2007-2013 (sur les 50 du PCRD) ce qui représente 1% du financement public de la recherche en Europe. Une répartition indicative entre les disciplines donnerait 45% aux sciences physique et de l'ingénieur, 40% aux sciences de la vie et 15% aux sciences humaines et sociales. Des modalités sont prévues pour laisser une marge budgétaire pour la recherche multidisciplinaire.

Esprit libre : Quels types d'activités seront financés et avec quels critères d'éligibilité ?
Mathias Dewatripont : 2 types de subvention, l'une - " The ERC Starting Independent Researcher Grant " réservée à de jeunes postdoc, détenteurs d'un PhD depuis 2 ans minimum et 9 ans maximum à la date limite de l'appel aux propositions (avec prise en compte de circonstances spéciales telles que congé de maternité/paternité, service militaire ou civil, etc.) et l'autre - " The ERC Advanced Investigator Grant " pour des chercheurs sans aucune limite d'âge (y compris au-delà de la retraite). L'appel 2007, dont la date-limite est fixée au 25 avril ne concerne que les Starting Grants, car le budget 2007 est limité à 300 millions d'Euros environ. On prévoit d'octroyer quelque 200 bourses, qui seront gérées par les chefs de projet (Principal Investigator). D'une durée de 5 ans, leur montant annuel pourra varier entre 100 et 400.000 euros pour les Starting Grants. Les actions ERC sont ouvertes à toutes les disciplines (sauf la recherche appliquée en énergie nucléaire qui relève du programme spécifique Euratom) et aux chercheurs de toute nationalité mais pour mener le projet dans un État membre ou pays associé ou candidat associé de l'UE.

Esprit libre : Comment s'opérera la sélection ?
Mathias Dewatripont : Essentiellement sur l'excellence de deux facteurs : la qualité scientifique du porteur du projet (bilan de recherche, caractère prometteur, capacités intellectuelles et capacités à mener une équipe) et celle du projet (enjeux majeurs, nouveaux horizons, méthodologie). Enfin, la qualité de l'environnement sera aussi prise en compte. L'institution-hôte doit en effet garantir au chercheur une indépendance suffisante (bureau, accès à l'enseignement et aux doctorants, gestion des contrats et publication en son nom propre).

Esprit libre : Comment les universités peuvent-elles se préparer au mieux à répondre aux appels de l'ERC ?
Mathias Dewatripont : Vu la rigueur, l'assise disciplinaire de l'évaluation et le souci de ne pas alourdir les démarches bureaucratiques (soumission des demandes en 2 étapes), il faut encourager les meilleurs chercheurs à poser leur candidature. Les universités devraient veiller tout particulièrement à ce que tout bon candidat soumette effectivement un projet. La réflexion institutionnelle devrait intégrer deux dimensions : définir qui en interne pourrait postuler, et qui l'institution pourrait accueillir de l'extérieur (en particulier, quels sont les chercheurs expatriés à convaincre par cet incitant de l'ERC à revenir au pays).

Esprit libre : Quel regard portez-vous sur l'évolution de la politique de recherche de l'UE ?
Mathias Dewatripont : Avec le 7e PC et l'ERC, l'Europe va dans le bon sens, assurément. Dommage qu'elle ne puisse pas le faire plus vite, face aux avancées spectaculaires de certaines régions du monde et notamment de pays émergents.

Chantal Zoller

Économiste, professeur à l'ULB (et à temps partiel au MIT), Prix Francqui (1998), Mathias Dewatripont fait l'objet une fois encore d'une belle reconnaissance internationale par sa désignation au Conseil scientifique du Conseil européen de la recherche, où il est le seul Belge sur 22 membres.



 
  ESPRIT LIBRE > MARS 2007 [ n°47 ]
Université libre de Bruxelles