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Véronique Pouillard Entre création et consommation

Esprit libre : Vous avez enchaîné plusieurs cursus à l'ULB. Comment êtes-vous passée de l'Histoire à la philosophie ?
Véronique Pouillard : J'ai commencé par m'inscrire en histoire en 1994. Le DEA en Histoire, cultures et sociétés est venu naturellement par la suite, dans le cadre de l'École doctorale en Histoire. Mais la philosophie me tentait également. En 1e licence, j'ai pu combiner cet intérêt pour ces deux matières en m'inscrivant en philosophie. Dans la pratique, la philosophie m'a beaucoup aidée à approcher des textes de nature très différente. La recherche que j'effectue actuellement sur la mode, en particulier le copyright et la circulation de modèles déposés, m'a amenée vers des textes qui ont trait à l'Histoire du droit intellectuel et commercial, et aussi à des travaux théoriques. Les théoriciens qui essaient depuis des siècles de comprendre la nature des phénomènes de mode ont des horizons étonnamment variés. Ma formation m'aide et m'enlève une certaine crainte face à des sources et des terrains parfois très divers.

Esprit libre : D'où vous vient cette passion pour l'Histoire des sociétés de consommation et de la création ?
Véronique Pouillard : Les liens, la tension entre l'esthétique et l'économique et le poids de ces contraintes me passionnent. C'est une sorte de fil rouge dans différents aspects de mon travail. Peut-être à première vue contradictoires, ces aspects sont des moteurs d'activités intimement liés dans les sociétés de consommation, notamment dans l'encouragement à la consommation propre aux sociétés capitalistes.

Esprit libre : Votre thèse sur la publicité a la chance de connaître une seconde vie grâce au prix du concours annuel de l'Académie royale de Belgique. Vos travaux ont mis en lumière quelques spécificités de la publicité belge...
Véronique Pouillard : Au début de ma thèse, je me suis rendu compte qu'on connaissait très mal l'Histoire de ce secteur. Les milieux de la pub ne sont pas tellement intéressés par le passé, plutôt par les nouvelles tendances et le futur ! En explorant le secteur, on découvre que le paysage est composé d'entreprises étrangères, surtout françaises et américaines, implantées en Belgique et parfois très vieilles. Je suis tombée sur un véritable chantier en essayant de définir le secteur de la publicité belge. Il s'est construit sur des références internationales qui ont été adaptées à un marché national ouvert aux agences et aux annonceurs étrangers ; une vraie mosaïque culturelle. Et ce sont sans aucun doute aussi les spécificités d'un marché multilingue qui ont attiré, très tôt, les agences françaises et américaines. Il faut également préciser que la source des innovations en pub n'est pas uniquement extérieure ; le premier manuel de langue française consacré à la publicité a été rédigé par un Belge, avant 1914, à une époque où le métier de publicitaire n'existait pas encore en tant que tel.

Esprit libre : De façon générale, la Belgique est-elle créative ?
Véronique Pouillard : Dans les années 60-70, le secteur textile a traversé une crise. Le gouvernement a décidé d'encourager financièrement la création de mode afin de relancer la machine ; il y avait donc un enjeu politico-social qui a permis le développement d'un vivier de création, à Anvers notamment. L'Académie royale des Beaux-arts d'Anvers a rapidement émergé et la Belgique est devenue complètement avant-gardiste dans le domaine de la mode. C'est le cas également en publicité, avec de nouvelles agences qui auront une communication très audacieuse. Avant cela, la Belgique l'était aussi dans le domaine des arts industriels et des arts plastiques, en faisant converger ces domaines, comme on a pu le voir avec l'Art Nouveau par exemple. La créativité belge n'est donc pas récente mais il faut tenir compte des déplacements et des évolutions des secteurs de créativité.

Esprit libre : Vous résidez actuellement à New York. Parallèlement à vos activités de recherche et d'enseignement à l'ULB, quels travaux menez-vous à l'Université de Columbia ?
Véronique Pouillard : Grâce à une bourse de la BAEF, j'y effectue un séjour post-doctoral d'un an. Tout en gardant un oeil ouvert sur les autres domaines sur lesquels j'ai travaillé, je mène une recherche sur les échanges internationaux entre la France, les États-Unis et la Belgique dans le secteur de la mode entre 1930 et 1950. J'étudie les relations entre les entreprises qui produisent, créent, distribuent et reproduisent la mode, alors en pleine démocratisation. Les archives d'entreprises et d'associations professionnelles américaines constituent une source précieuse pour cette recherche.

Esprit libre : Quels sont vos autres centres d'intérêt ?
Véronique Pouillard : Je m'intéresse à la peinture et au dessin depuis longtemps. Dès que j'ai du temps libre, j'essaie de le consacrer à ces pratiques. C'est très agréable parce que l'on a l'impression de passer de quelque chose de très théorique à quelque chose de très concret. Même si je trouve la recherche très créative, mais de manière différente.

Amélie Dogot


Jeune historienne née à Bruxelles, Véronique Pouillard s'intéresse aux aspects économiques et esthétiques de la création industrielle. À 30 ans, elle est déjà l'auteur de plusieurs ouvrages et articles sur l'Histoire des secteurs de la mode et de la publicité, et sa thèse de doctorat a été publiée par l'Académie royale de Belgique en 2005 (1) . Actuellement en séjour post-doctoral à l'Université de Columbia, Véronique Pouillard cultive par ailleurs sa propre créativité au travers du dessin et de la peinture.



(1) La publicité en Belgique, 1850-1975 : Des courtiers aux agences internationales, par Véronique Pouillard, Bruxelles, Académie Royale de Belgique, 2005, 509 pages.

 
  ESPRIT LIBRE > MARS 2007 [ n°47 ]
Université libre de Bruxelles