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Belgique : un scrutin aux dimensions multiples

Cette élection intervient à la suite d'une législature quasi complète dans la mesure où le scrutin n'a été anticipé que de quelques semaines. Ceci confirme le changement tendanciel à l'allongement des législatures et à la stabilité des gouvernements, observé depuis quinze ans maintenant.

Pour le gouvernement arc-en-ciel, l'observation n'est pas anecdotique. Les coalitions composées de trois familles politiques - et six partis en l'espèce - avaient généralement connu des législatures très éphémères ; en 1974 ou en 1980, par exemple. Les six formations de la majorité ont donc mené à bon port une expérience et une coalition inédite dans l'histoire politique belge.

Comment se configure le scrutin du 18 mai 2003 et quels sont les enjeux majeurs qui l'entourent ? Esquissons quelques éléments saillants.

Un premier questionnement a trait à la fragmentation du système politique belge. Au terme de l'élection du 13 juin 1999, le système politique belge était plus fragmenté que jamais. Que l'on mesure la situation par le nombre effectif de partis ou par l'indice de fragmentation , les indications étaient convergentes : la fragmentation du système est exceptionnellement élevée. Celle-ci sera-t-elle endiguée, approfondie ou partiellement résorbée est une interrogation cruciale car de la réponse à cette question dépendent, dans une mesure notable, non seulement la confection du prochain gouvernement fédéral mais aussi les formes de gestion de la cité. Soulignons que cette problématique se pose avec plus d'acuité dans l'espace politique du nord du pays, où la première formation à la Chambre, le VLD, n'avait décroché que 22,5% en juin 1999.

Dans le même espace politique, une autre interrogation domine la confrontation électorale : quelle sera la première formation au soir du 18 mai 2003 ? Le 13 juin 1999, pour la première fois depuis l'instauration du suffrage universel en Belgique, les démocrates chrétiens avaient dû céder le statut de premier parti flamand (belge) à leurs adversaires libéraux du VLD. Certes, à quelques milliers de voix près, mais l'événement était de taille quand on sait que le CVP captait aisément 50 à 60% des voix en Flandre il y a cinquante ans. Cet aboutissement était-il conjoncturel ou, au contraire, était-il la résultante d'un processus d'érosion quasi continue de la famille sociale chrétienne flamande ?
La conquête du rang de première formation flamande peut être cruciale. Symboliquement, d'abord. Se parer de cet attribut à un an d'une élection régionale essentielle est un atout indéniable. Politiquement ensuite, pour la confection du prochain gouvernement. Le retour du CD en V au statut de premier parti pourrait singulièrement compliquer la tâche de ceux qui envisagent et préconisent la reconduction de l'actuelle majorité. Cette problématique renvoie au crédit qu'aura pu engranger le VLD durant quatre années - grâce à Guy Verhofstadt et Patrick Dewael - où il a détenu deux postes cruciaux dans le processus décisionnel belge. Plus largement, elle renvoie au devenir de la démocratie chrétienne belge.

Le 13 juin 1999, le résultat a été particulièrement calamiteux pour les deux formations sociales chrétiennes. Le CD en V a atteint un plancher et perdu son rang de premier parti. Le PSC enregistrait également un sévère recul et devenait le quatrième parti en Wallonie et en Communauté française. En outre, tous deux ont été renvoyés dans l'opposition, ce qui ne leur était pas arrivé depuis 1958. L'opposition a été dure pour les sociaux chrétiens. Ils ont tout à la fois dû endosser une nouvelle posture, et ils ont dû, paradoxalement, être plus clairs sur certaines orientations socio-économiques. Pour surmonter le traumatisme de 1999, PSC et CVP se sont chacun donné un nouveau président (Stefaan De Clerck et Joëlle Milquet) et se sont renommés (Christen Democratisch en Vlaams et Centre démocrate humaniste). Ils ont aussi, de manière différente, modifié certains aspects identitaires et programmatiques. Par rapport à ces transformations, qui sont parfois de l'ordre du pari, l'élection du 18 mai 2003 se décline comme un test déterminant pour les deux personnalités qui ont conduit à ces mutations et, plus fondamentalement encore, pour le destin de la démocratie chrétienne dans l'espace politique.

En Flandre, l'attention sera aussi focalisée sur la loi à l'oeuvre pour le Vlaams Blok depuis l'élection communale d'octobre 1988 : il ne perd aucune élection. Cette observation sera-t-elle enfin démentie ?

Dans l'espace politique francophone, la problématique des classements sera aussi saillante : quel sera le premier parti en Communauté française (le parti socialiste ou le Mouvement réformateur), quel sera la troisième formation wallonne voire francophone (Ecolo ou le Centre démocrate humaniste) ?

Au-delà de ces interrogations, il sera intéressant d'examiner pour les trois premiers partis de l'espace francophone qui tirera le plus de profit de la participation gouvernementale violette. Pour Ecolo, la configuration est sans doute la plus complexe. Il ne va pas aux urnes, comme en 1999, avec le statut de parti d'opposition et il est peu vraisemblable qu'il puisse compter sur une nouvelle donne conjoncturelle comme la crise de la dioxine en 1999. Après une décennie difficile, le parti socialiste se présentera aux électeurs dans une posture plus sereine qu'il y a quatre ans : le parti est apaisé, il n'a pas de véritable concurrent à sa gauche et sa rénovation a progressé pendant la législature. En même temps, les élections d'après participation gouvernementale n'ont jamais été porteuses pour la famille socialiste. Quant à la famille libérale, elle pourra se prévaloir d'une réforme fiscale et d'une " formation " plus intégrée et plus lisible, à travers le Mouvement réformateur, que la fédération PRL-FDF-MCC au scrutin de 1999.

Les enjeux et les thèmes de la campagne joueront aussi dans les polarisations et les positions qu'ils susciteront. Compte tenu du contexte international, les choses ne sont pas encore tout à fait claires en la matière. Il y a cependant fort à parier que cinq problématiques seront centrales.

. La première concerne le devenir de la sécurité sociale, et notamment le dossier du financement des soins de santé et des pensions. Compte tenu du vieillissement de la population, de l'augmentation des coûts dans les soins de santé, ces deux secteurs sont aujourd'hui à la croisée des chemins en termes de pérennisation du système.

. La deuxième concerne le statut des services publics ou des services universels et, plus largement, la question de l'investissement de l'État dans la société. Doit-on approfondir la logique de libéralisation à l'oeuvre depuis vingt ans ? Faut-il la moduler à l'aune des mutations contemporaines ? Ou faut-il un réinvestissement de l'action publique et dans l'action publique ?

. La troisième concerne la thématique de la sécurité et ce qui peut lui être associé, de manière étroite ou englobante. Pendant et après la campagne du premier tour aux élections présidentielles en France, le thème de la (in)sécurité a été mobilisé comme rarement dans un moment électoral . En sera-t-il de même en Belgique ?

. En fonction des évolutions du dossier relatif à l'Irak et à la possibilité d'une intervention américaine sur ce territoire, en fonction de l'essence et la (non)célérité de cette intervention militaire, le rapport aux relations internationales, en particulier la relation aux Etats-Unis et à l'Union européenne, pourrait être un thème plus important que d'habitude.

. Enfin, nous sommes en Belgique... En d'autres termes, la thématique communautaire et les questions ayant trait au paysage institutionnel et à la répartition des compétences entre entités fédérales et fédérées seront une fois encore sur le devant de la scène politique, électorale et médiatique, même si le débat s'organisera surtout par rapport au scrutin régional du printemps 2004. Deux dossiers sensibles seront épinglés : l'hypothèse d'une régionalisation partielle de la SNCB, et celle d'une régionalisation partielle de la sécurité sociale, éventualités sévèrement et durement rejetées en l'état par les formations politiques francophones.

Pascal DELWIT
Directeur du Centre d'étude de la vie politique de l'ULB

Le 18 mai 2003, les citoyens belges sont appelés à élire directement les 150 députés de la Chambre des représentants et 40 sénateurs - vingt-cinq néerlandophones et quinze francophones.



 
  ESPRIT LIBRE > AVRIL 2003 [ n°12 ]
Université libre de Bruxelles