La Belgique en campagne
Premièrement, le scrutin ne porte que sur l'élection des membres des assemblées fédérales, contrastant avec le scrutin de
juin 1999 au cours duquel les campagnes s'étaient télescopées entre élections législatives, régionales et européennes. Le
dernier scrutin uniquement législatif remonte, dans notre pays, au 17 février 1946 !
Deuxièmement, l'élection est organisée au terme du mandat prévu et non à la suite d'une crise gouvernementale. Considérant
le caractère particulièrement hétérogène de la coalition " arc en ciel ", la campagne sera délicate à organiser pour les partis
de la majorité sortante : il s'agit à la fois de capitaliser sur le bilan et les acquis, tout en prenant grand soin de se
démarquer des autres avec lesquels, jusqu'au bout, il convient de maintenir les apparences de l'harmonie d'une coalition qui
pourrait, selon les résultats, être reconduite. Le schéma plus classique en Belgique de l'élection suivant la " chute " d'un
gouvernement est bien plus simple à gérer en termes de marketing politique. La campagne est alors lancée sur les clivages
qui ont conduit à la rupture, et il suffit de poursuivre sur cet élan.
Troisièmement, cette campagne pourrait marquer un nouveau seuil dans une tendance soupçonnée à la personnification de la politique,
encouragée par un présupposé selon lequel un certain nombre d'électeurs voteraient davantage pour une personne que pour un
mouvement politique, une orientation idéologique ou un programme argumenté. Cette tendance se trouverait d'ailleurs renforcée
par une certaine dose d'indifférenciation et, paradoxalement, de fragmentation du paysage politique. Cette perception résulte
d'une mauvaise interprétation de la dynamique de coalition politique (une partie de l'électorat peut interpréter l'hétérogénéité
des majorités comme la démonstration que tous les partis se rejoignent) et d'un désinvestissement idéologique du marketing
politique (à force de vouloir élargir la base électorale, les partis se présentent souvent sous des bannières peu distinctives,
floues et donc banalisées, voire interchangeables). Un récent aménagement de la loi électorale constitue la confirmation implicite,
et surtout l'instrumentalisation de cette personnification du comportement électoral. Un candidat peut désormais se présenter
sur les listes de la Chambre et du Sénat. Les partis vont ainsi doubler le bénéfice de l'attractivité des personnalités les
plus populaires. Ensuite, chacun choisira de siéger dans l'une ou l'autre assemblée, voire dans aucune, laissant la place
aux suppléants prévus.
Tout cela ne contribue pas, il faut bien le dire, à redorer l'image de la classe et des institutions politiques auprès des
électeurs. Un sondage mené durant l'été 2001 par la Commission européenne montrait qu'en moyenne, à peine un tiers des Belges
étaient " plutôt intéressés " par la politique. Ce chiffre tombe à 26 pour cent chez les femmes, à 24 pour cent chez les 15-24
ans.
Médias et classe politique partagent une lourde responsabilité dans ce désintérêt des citoyens. En présupposant que la politique
ennuie, les candidats pour ménager leur électorat et les médias pour ménager leurs audiences se laissent aller à marginaliser
la médiatisation du débat politique. Ce qui subsiste pèche souvent par simplisme. Mais les ténors de la politique ne sont
pas pour autant absents des médias. L'équation simpliste qui tend à associer en chaîne causale la visibilité, la notoriété
et la popularité des personnalités politiques conduit la plupart d'entre eux à rechercher l'exposition médiatique. Celle-ci
peut nourrir le débat politique et éclairer l'électeur sur l'éventail des positions et des attitudes. Malheureusement, la
tentation est grande pour certains de déborder du débat politique pour exposer leur personnalité, y compris dans sa dimension
familiale et intime. Pour démontrer leur capacité d'empathie et de proximité, ils aiment se montrer homme ou femme ordinaire
(mais pas trop).
Simplification et marginalisation du débat, personnification de la campagne, indifférenciation et désidéologisation du marketing
politique " grand public ", et fragmentation du paysage politique constituent une curieuse combinaison plus propice à une
certaine démagogie qu'à un véritable débat d'idées.
François Heinderyckx Professeur de sociologie des médias et de la communication politique
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Bien que la crise irakienne risque de monopoliser l'attention publique, politique et médiatique, la campagne électorale s'annonce
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