Combattre l'indifférence
Willy Peers était un homme de combats. Professeur à l'ULB, il s'était battu au début des années 70 pour l'accessibilité aux
moyens anticonceptionnels et pour l'IVG. Pour cela, il avait fait de la prison. Le 17 février dernier, le Collectif contre
les expulsions recevait à l'université le prix Willy Peers pour son combat en faveur des sans-papiers. Dans la tradition de
la lutte contre la criminalisation des combats politiques et sociaux, l'université tenait ainsi à souligner l'absurdité d'un
procès qui frappe 26 prévenus s'étant opposés à la politique d'expulsion de la Belgique.
Banalisation et amalgames
Le constat est amer : de toutes parts en Europe, on assiste à une banalisation des pratiques d'expulsions, de détentions abusives
et d'enfermement dans des centres prévus à cet effet. Les réponses apportées par nos États semblent de plus en plus sécuritaires
et de moins en moins subtiles. Un discours dépassionné et respectueux des migrants n'y trouve pas de place. Or, comme le souligne
le sociologue Matéo Alaluf, " le fait qu'une question soit complexe ne doit pas pour autant permettre des comportements scandaleux.
Ce n'est pas un alibi pour accepter les centres fermés, ces zones de non-droit où sont enfermés des gens qui n'ont rien fait
". Il rappelle par ailleurs que depuis 1974, date officielle de l'arrêt de l'immigration, un glissement s'est opéré : cette
matière qui relevait avant du ministère de l'emploi et du travail est tombée dans l'escarcelle de l'intérieur. La politique
migratoire s'est muée en politique sécuritaire. L'amalgame entre asile et immigration a également brouillé les cartes et la
question de l'asile politique en a fortement pâti.
Une semaine de sensibilisation
Le procès du Collectif contre les expulsions - dont plusieurs personnes sont issues de l'ULB - étant prévu le 21 février dernier,
l'idée d'organiser une sensibilisation à l'université a germé dans la tête de quelques étudiants, sympathisants des prévenus
dans ce procès. " L'institution peut être fière que des étudiants se mobilisent de la sorte. C'est ce type d'action qui conserve
l'université en mouvement " souligne Isabelle Stengers, philosophe et membre du comité de soutien au collectif. " L'université
doit pouvoir prendre des positions minoritaires et résister lorsque l'ensemble du monde politique appelle les gens à baisser
les bras sur certains sujets ". La communauté universitaire s'est donc manifestée au travers d'une semaine d'information,
de débats, de prise de conscience et de mobilisation. Une semaine concluante puisque marquée par des salles pleines et des
débats passionnés. Bien plus de professeurs que prévus ont d'ailleurs ouvert leur cours à un aspect de la problématique et
une brochure sur la thématique a été réalisée et distribuée.
Un phénomène inéluctable
Pour Mateo Alaluf, l'idée de l'immigration zéro est une abérration. On arrête pas un phénomène inéluctable. À l'heure du libre-échange
dans la zone de Schengen, on assiste, au niveau européen, à un durcissement qui va à l'encontre de ce mouvement : " l'idée
d'une Europe-forteresse n'est pas praticable. La liberté de circulation doit être valable pour les personnes, comme pour les
marchandises. Et il est scandaleux de ne pas l'organiser, voire de la nier ".
Sémira Adamu : le choc puis l'oubli ?
A quelques encablures des élections, les discours sécuritaires risquent de refaire surface un peu plus encore : " on pratique
actuellement une anti-politique de l'immigration ", dit Isabelle Stengers. " Elle n'est véritablement politique que sur un
point : calmer l'extrême-droite. Et l'on propose des choses à l'électorat propres à le rassurer. C'est extrêmement dangereux
". " Le danger est la banalisation " conclut Matéo Alaluf. " Quand il y a eu l'affaire Sémira Adamu, un grand mouvement d'opinion
s'est manifesté dans le pays, les choses ont bougé, on a entendu les partis politiques s'exprimer pour dire que les choses
devaient changer. On a vidé les centres fermés. Aujourd'hui, ils sont à nouveau remplis et ils ont repris leur fonctionnement
normal... ".
Alain Dauchot
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À l'initiative de quelques étudiants, l'ULB organisait en février dernier une semaine de sensibilisation autour de la question
des sans-papiers et des expulsions. Dans toutes les facultés, professeurs et étudiants ont donc débattu de questions relatives
aux flux migratoires et aux réponses que nos pays européens n'apportent pas - ou mal - dans le cadre de ce débat. L'université
posait là un acte interpellant pour nos pouvoirs publics.
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Impliqué depuis sa création dans l'action du Collectif contre les expulsions, Jean Wautiez nous fait part de sa réaction après
la remise du Prix Willy Peers, de ses craintes face au procès, mais aussi des projets du collectif :
"Ce Prix est une reconnaissance puisqu'il est attribué à des personnes injustement poursuivies pour de bonnes causes. Nous
sommes heureux de constater que d'autres personnes estiment notre combat et l'affichent publiquement.
Une condamnation dans le procès actuel remettrait en cause un travail poursuivi depuis 5 ans. Nous allons régulièrement à
Zaventem pour informer les passagers du règlement international sur les vols aériens civils et sur les expulsions. Subissant
déjà des pressions de la part de la police, il est clair que ce travail serait plus difficile encore si nous devions être
condamnés...
Il s'agit pour nous à présent de poursuivre le travail de sensibilisation : un dossier pédagogique sera réalisé et diffusé
vers les écoles et un travail vidéo est en cours."
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