[page précédente]    [sommaire]    [page suivante]  
esprit libre

[à l'université]
 
 
 
Chercheuses dans le privé

Le secteur industriel en Europe emploie près de 50 % de l'ensemble des chercheurs. Cependant, la participation des femmes dans la recherche privée y est plus faible qu'ailleurs. Elles ne représentent en effet que 15 % des 500.000 chercheurs dans le secteur industriel alors que leur proportion atteint 30 % dans le secteur public et 31 % dans le secteur académique. De fortes disparités régionales sont cependant présentes au sein des 15 États membres. La proportion de femmes dans la recherche industrielle est extrêmement faible en Autriche et en Allemagne, avec des taux de participation de 9 %. Ironiquement, l'Allemagne est le pays qui occupe le plus grand nombre de chercheurs industriels dans toute l'Europe. De l'autre côté de l'échelle, au Portugal et en Grèce, le niveau de participation féminine s'élève à 24 % ; ce taux atteignant 28 % en Irlande.

La sous-représentation des femmes dans la recherche privée s'accentue au fur et à mesure que l'on gravit les échelons de la hiérarchie. En outre, par rapport aux hommes, elles sont plus susceptibles de travailler sous contrat temporaire, ont généralement une ancienneté moins importante et sont moins bien payées à qualifications égales. Elles sont en moyenne plus jeunes que leurs collègues masculins. Elles ont moins d'enfants par rapport à ces derniers, mais également par rapport aux chercheuses des autres secteurs, ainsi qu'aux femmes travaillant dans le privé mais sous une autre occupation. L'ensemble de ces éléments démontre que les politiques actuelles de promotion de la recherche industrielle ne sont pas suffisantes pour atteindre l'égalité entre hommes et femmes.

Barrières complexes

Une analyse rapide du phénomène laisse entrevoir que l'explication majeure de cette sous-représentation se trouve dans la présence de ségrégation, qu'elle soit éducationnelle, professionnelle ou encore sectorielle. Un examen plus en profondeur dévoile toutefois que ces phénomènes sont eux-mêmes le résultat de la présence de barrières plus complexes. Premièrement, il existe des obstacles à l'entrée de la profession, tels qu'un manque d'information sur les opportunités de carrières, ou encore la présence de nombreux stéréotypes et de pratiques de recrutement discriminantes. Ensuite, les femmes ayant réussi à passer ces barrières se retrouvent à travailler dans un milieu avec des valeurs et des critères mis en place par des hommes et pour des hommes. Ceci implique notamment des différences dans les modes de communication et dans la façon de travailler, ou encore un manque de mentors, et peut conduire à terme à des problèmes d'isolation et de discrimination. Ce deuxième type de barrières semble particulièrement présent étant donné la proportion élevée de femmes scientifiques travaillant dans le privé qui quittent leur occupation ou la vie active.

En 2000, lors du sommet européen de Lisbonne, les différents chefs d'État se sont fixé comme objectif, d'ici 2010, de faire de l'Europe une économie compétitive basée sur le savoir et la connaissance. Deux ans plus tard, au sommet de Barcelone, un objectif chiffré est apparu : les dépenses en recherche et développement doivent atteindre 3 % du PNB pour 2010. Ceci implique notamment l'engagement de près de 700.000 chercheurs supplémentaires. Pour atteindre cet objectif, il est nécessaire de mobiliser toutes les ressources disponibles et d'élargir le réservoir de talents, les femmes ne pouvant en être exclues. Cependant, pour accroître leur représentation au sein du secteur privé, il est nécessaire de développer un environnement de travail dans lequel les femmes se sentent respectées et valorisées.

Bénéfices de la féminisation

Certaines entreprises ont reconnu la nécessité de mobiliser les compétences des femmes chercheuses et ont mis en place des politiques de promotion de la diversité au sein de leur firme. Leurs objectifs sont généralement d'arriver à une meilleure représentation des femmes dans la recherche privée, une meilleure articulation de la vie professionnelle et familiale, ou encore une atmosphère de travail plus accueillante. Les pratiques les plus intéressantes sont les programmes globaux dont l'objectif final est d'intégrer la notion du genre dans toutes les pratiques de ressources humaines.

Une meilleure intégration des femmes dans la recherche privée ne peut être que bénéfique à tout point de vue. Ces dernières ayant des qualités différentes de celles des hommes, elles peuvent changer les modes de communication, apporter un plus au processus d'innovation, en bref : accroître la compétitivité du secteur. Une collaboration entre les gouvernements, les firmes et les réseaux devrait permettre d'arriver plus vite à une égalité des femmes et des hommes dans la recherche privée .

Amynah Gangji
Chercheuse au Département d'économie appliquée de l'ULB (DULBEA)

Le secteur industriel joue un rôle prépondérant dans le domaine de la recherche-développement en Europe. Il s'agit également d'un secteur en pleine expansion, aussi bien en terme de financement qu'en ressources humaines. Il n'empêche qu'on y observe plus qu'ailleurs une sous-représentation et une sous-promotion des femmes chercheuses, certaines firmes n'étant pas suffisamment conscientes des bénéfices qu'elles peuvent retirer de la diversité.



 
  ESPRIT LIBRE > AVRIL 2005 [ n°30 ]
Université libre de Bruxelles