Cancer
Vers des thérapies ciblées
" La chimiothérapie est similaire à un bombardement en temps de guerre : on vise les troupes ennemies mais il y a toujours
des populations civiles parmi les victimes. Aujourd'hui, grâce aux dernières avancées scientifiques, nous misons en priorité
sur une thérapie ciblée ", explique avec enthousiasme Dominique Bron.
Depuis 1998, elle dirige le Département d'hématologie clinique au sein de l'Institut J. Bordet, avec une priorité : allier
recherche fondamentale, recherche clinique et suivi du patient. Médecins et chercheurs s'accordent aujourd'hui à dire que
nous vivons une période-clef, " fabuleuse et stimulante ", comme la qualifie le Dr Bron, dans le traitement du cancer avec
des armes thérapeutiques très précises, permettant désormais de combattre la maladie de manière très spécifique. Et ceci grâce
à une meilleure compréhension des anomalies génétiques caractéristiques des cancers.
Anomalie génétique
Tous les cancers sont liés à un remaniement chromosomique, un défaut " quelque part " parmi ces 26 paires de chromosomes.
La difficulté bien évidemment est d'identifier ce " défaut " qui peut prendre la forme d'une perte, d'une multiplication,
d'une translocation, d'un ajout d'un morceau de chromosome... Une fois l'anomalie génétique identifiée et comprise, le chercheur
peut réfléchir au mécanisme de l'oncogénèse auquel il doit s'attaquer : des cellules se mettent à proliférer alors que l'organisme
ne leur a rien commandé, ou des cellules refusent de vieillir et de mourir, ou encore la tumeur aspire la microcirculation.
Cela lui permet de passer dans le sang et donc d'enclencher le développement de métastases à distance. Enfin, dernière étape-clef
pour le chercheur : élaborer un traitement, c'est-à-dire mettre au point une protéine, un anticorps, etc. capable de combattre
la maladie.
LMC
C'est par cette approche ciblée que les médecins soignent aujourd'hui la leucémie myéloïde chronique ou LMC. On sait depuis
de nombreuses années que les patients atteints de cette leucémie présentent une anomalie sur les chromosomes 9 et 22 : le
chromosome 9 est anormalement long, tandis que le chromosome 22 est trop court. Dans les années 90, les chercheurs ont pu
montrer que cette anomalie des deux chromosomes entraîne la naissance d'un gène de fusion entre le BCR du chromosome 22 et
le gène ABL du chromosome 9. Avec pour conséquence, la production d'une protéine anormale responsable de la multiplication
accélérée des globules blancs.
" Au milieu des années 90, un médicament a été mis au point pour bloquer cette protéine et arrêter ainsi le développement
de la leucémie. Depuis début 2000, nos patients sont soignés avec ce nouveau médicament, le Glivec. Néanmoins, un petit pourcentage
de patients ne réagit pas au médicament et d'autres, soignés depuis plusieurs années, développent une résistance... Par analogie,
un peu comme un malade qui aurait consommé beaucoup d'antibiotiques et chez qui ceux-ci perdent de leur efficacité ", constate
Dominique Bron. Et d'ajouter : " pour ces patients, trois nouvelles molécules sont déjà en expérimentation clinique. C'est
extraordinaire puisqu'il y a quelques années, un patient atteint de LMC mourait en moyenne dans les 4 ans s'il ne recevait
pas une greffe de moelle ".
Des traitements " sur mesure "
En outre, grâce aux micropuces ou cartes d'identité pour chaque patient, les scientifiques peuvent aujourd'hui identifier
chez qui le Glivec sera sans effet et l'orienter alors vers d'autres molécules inhibitrices. Petit à petit, la piste du traitement
" sur mesure " s'ouvre donc, avec pour objectif de soigner un maximum de patients avec ces molécules capables de reconnaître
les cellules tumorales porteuses d'anomalies chromosomiques et de s'y attaquer spécifiquement. Plus lourds, les traitements
" traditionnels " (radiothérapie, greffe de moelle, etc.) seront idéalement réservés aux patients qui ne répondent pas à la
molécule ou dont le cancer a atteint un stade trop avancé.
Le cancer du sein bénéficie déjà lui aussi de cette approche ciblée et intelligente. Dans le cancer du sein, la cellule cancéreuse
surexprime l'HER2. Les chercheurs ont identifié l'anticorps anti-HER2 qui bloque l'action de ce récepteur et fait mourir la
cellule cancéreuse : l'herceptine permet aujourd'hui de traiter un plus grand nombre de patientes résistantes.
Des médicaments " intelligents "
Première actrice et première observatrice de ces avancées, Dominique Bron se veut confiante, à condition bien évidemment de
poursuivre la recherche fondamentale et clinique, et donc de lui donner les moyens afin que le plus grand nombre de patients
puisse avoir accès à ces traitements novateurs et ces médicaments " intelligents ". En conclusion : " La recherche, alliée
au dépistage de plus en plus précoce des cancers du sein, de la prostate ou du col de l'utérus en particulier, permet de
réduire chaque jour le recours à des traitements de type " bombardement ". Des centaines de molécules sont aujourd'hui connues
ou à l'étude : elles ouvrent autant de portes vers des traitements ciblés, aux effets secondaires limités, voire inexistants
".
Nathalie Gobbe
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Au lendemain de la médiatique opération de solidarité " TÉLÉVIE ", Esprit libre a poussé la porte d'un des secteurs scientifiques
de cette lutte contre le cancer : l'Unité d'hématologie de l'Institut J. Bordet. Le prétexte à évoquer les " médicaments intelligents
" avec le Dr Dominique Bron.
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