La liberté face aux gènes
Depuis Sénèque, les théories s'affrontent, les partisans du déterminisme s'opposant à ceux qui, en Europe, pensent que la
liberté est l'essence même de l'être humain. Au fil de ses ouvrages, Axel Kahn s'est lui aussi interrogé sur les déterminismes
naturels ou sociaux qui marquent nos " destins ", s'inscrivant de façon originale dans la longue liste des penseurs qui ont
abordé la question. L'homme n'est-il finalement que la somme de ses gênes, et la liberté qu'il manifeste n'est-elle qu'un
leurre ?
Ces dernières années, les connaissances de la biologie et de la neurobiologie ont permis de faire des bonds énormes dans la
connaissance du cerveau et des gènes. Mais la génétique ne peut être entièrement déterministe nous dit Axel Kahn, même si
les déterminismes sont nombreux.
De Darwin, certains ont tiré des théories basées sur un ultra-déterminisme génétique qui culmine avec les théories de Dawkins
et sa conception du " gène égoïste ". D'autres (Kupiec, Sonigo) ont avancé la théorie de la compétition, non pas entre gènes
mais entre cellules, ce qui excluerait la compétition entre animaux et organismes, tout se passant au niveau des cellules.
Méfiant face aux théories excessives, Kahn se situe entre les deux pôles et parle d'un certain déterminisme des organismes
accompagné de phénomènes de " sociologie cellulaire ".
Objet, nature, animal
Qu'est-ce que la liberté ? La liberté philosophique est-elle réductible à la liberté des choses ? Existe-t-il dans la nature
une liberté qui soit d'un degré autre ? Si un jardinier connaissait tout de son jardin - les végétaux, la pluviométrie, les
animaux qui y vivent, etc. dans les moindres détails -, il pourrait globalement prédire l'évolution de son carré de verdure.
Mais il ne connaîtrait pas pour autant à l'avance le comportement individuel de chaque brin d'herbe... Intervient donc ici
le hasard.
Concernant le monde animal, la vision classique développée depuis Descartes est qu'il n'est pas possible de parler de liberté.
Les animaux ne feraient que réagir aux incitations de leur milieu. Une analyse qui n'est sans doute pas satisfaisante nous
dit Axel Kahn, qui distingue la liberté matérielle de l'objet, la liberté aléatoire de la nature et celle, différente, de
l'animal qui peut manifester, comme l'homme, l'anxiété, la douleur, la détresse ou le bien-être. Si ce n'est l'expression
d'une volonté, il s'agit assurément d'une fantaisie pense le généticien. Et de conclure : il est donc juste de parler d'une
graduation de la liberté appliquée à un objet, un végétal, un animal.
Le temps de la liberté
Le Darwinisme était clair : des modifications aléatoires surviennent et provoquent des mutations génétiques qui, à leur tour,
permettent l'évolution des espèces, dont les plus adaptées à l'environnement survivent. Encore faut-il que l'être qui évolue
soit conscient de son avantage pour en bénéficier et survivre. Ce qui implique une conscience de sa propre unicité. Une fourmi
peut prévoir certaines choses (faire des provisions par exemple). Mais si son contexte de vie change, elle continuera à adopter
le même comportement sans prendre conscience du changement de son environnement.
L'être qui fait des scenarii pour le futur fait, lui, des choix. L'idée de la liberté s'est exprimée chez nos ancêtres par
la volonté de mettre en oeuvre un comportement adapté à son intérêt. Ce mécanisme explique l'apparition du sens moral et s'inscrit
dans une dimension nouvelle qui apparaît au primate en voie d'hominisation : le temps.
Face aux déterministes : les tenants de la liberté manifestée par l'homme, à commencer par les pères de l'église. Pour que
la loi morale du jugement dernier puisse s'appliquer, le libre-arbitre devait exister. Pour Kant, la liberté donne tout son
sens à la loi morale, elle fait partie de l'essence de l'être.
Choisir
Que dit la neurobiologie sur note aptitude à choisir ? Le libre arbitre est une illusion sans doute, explique Axel Kahn. Mais
la neurobiologie permettra de mieux connaître les mécanismes qui nous amènent à prendre des décisions lorsque l'on est face
à un éventail de possibles qui nous sont imposés...
Si les gènes humains sont les conditions de notre liberté et sont des déterminants importants de nos choix, il faut nous méfier
de ceux qui utilisent la science pour faire fructifier des théories parfois douteuses à des fins politiques ou économiques.
La théorie de " l'homo-economicus " ou celle des " gènes de la violence " en sont deux exemples.
Alain Dauchot
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Les questions du déterminisme et de la liberté dans nos actions constituaient la thématique abordée par Axel Kahn lors de
sa venue à l'ULB, le 13 février dernier. Un débat universel partagé par les penseurs de tous les pays depuis 25 siècles. Et
dans lequel la génétique est venue mettre son grain de sel...
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Axel Kahn
Médecin, biologiste, généticien, Axel Kahn est directeur du Département de génétique et pathologie moléculaire de l'Institut
Cochin, à Paris. Il est également président d'un groupe d'experts auprès de la Commission européenne pour les sciences de
la vie et membre du comité consultatif d'éthique. Scientifique, homme engagé, essayiste, il est par ailleurs le rédacteur
en chef de la revue " Médecine Sciences ".
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