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Zofia Wislocka À la baguette

Esprit libre : Vous avez commencé à apprendre le métier de chef d'orchestre à 14 ans, ce qui est très jeune. D'où vous vient cette passion de la musique ?
Zofia Wislocka : Très tôt, j'ai été imprégnée par l'art et la musique. On a rapidement dit de moi que je serais musicienne. Vers 3-4 ans, je me suis fabriqué - en carton - mon premier piano. Puis j'ai commencé les cours sur un vrai piano. Mes parents m'ont laissé l'opportunité de quitter la maison à un âge assez précoce pour poursuivre mes études. J'étais douée aussi en dessin et en théâtre mais la musique a toujours été ma passion.

Esprit libre : Votre oncle, chef d'orchestre de renom en Pologne, vous a-t-il influencée ?
Zofia Wislocka : Pas du tout ! On m'a caché son existence. Je savais que mon père avant une grande famille mais comme il a épousé une actrice de cinéma muet, ce qui était mal vu, il a rompu avec les siens. En 1967, quand je suis entrée au conservatoire de Varsovie où mon oncle enseignait, j'ai vu son nom sur la porte. À l'époque, une femme à la direction d'un orchestre, c'était inconcevable. Il m'a dit : " C'est dommage que tu sois une fille ". J'ai claqué la porte et je suis partie... J'ai travaillé avec son assistant mais j'ai vite compris que je ne pourrais rien accomplir en Pologne malgré mon diplôme. Composer, faire des arrangements, oui. Mais réaliser mon rêve, être maestro professionnelle, non.

Esprit libre : Dans quel contexte avez-vous rejoint l'orchestre de l'ULB ?
Zofia Wislocka : Je me trouvais en France et j'ai reçu une proposition pour venir en Belgique. J'ai dû choisir entre ces deux pays et finalement, j'ai opté pour la Belgique où je suis arrivée en 1975 pour continuer ma formation. Six ans plus tard, on m'a contactée pour remplacer le chef d'orchestre de l'ULB. Cela ne devait durer que trois mois mais les musiciens m'ont adoptée !

Esprit libre : L'orchestre fête ses quarante ans et vous, vos 25 ans à l'ULB. Quel regard portez-vous sur ces années ?
Zofia Wislocka : Il faut savoir que depuis le début, l'orchestre rassemble des musiciens amateurs. Pour qu'ils reviennent, il faut les intéresser, il faut leur communiquer le feu sacré. En 25 ans, il y a eu des années creuses et des années sublimes, comme dans la vie. Je me rappelle d'une époque où l'on jouait jusqu'à minuit et on allait encore boire un verre après, ce qui permettait de continuer la répétition en discutant toujours de musique. Auparavant, l'orchestre était composé de douze musiciens et accompagnait plutôt la chorale. Ensuite, il s'est développé à part entière. Aujourd'hui, c'est un orchestre symphonique dont les musiciens sont de plus en plus performants.

Esprit libre : En 2001, vous avez créé l'organisation internationale " Femmes maestros ". Quelles sont vos revendications ?
Zofia Wislocka : Principalement, qu'on accorde à la femme une place à part entière dans la musique, qu'on lui concède l'égalité des chances dans l'accès à la profession afin qu'elle puisse faire valoir ses capacités professionnelles. Ces revendications ont constitué la raison d'être du premier colloque, organisé à l'occasion de la Journée de la femme, le 8 mars 2000. Grâce à l'ULB, nous avons eu l'opportunité de mettre sur pied cette rencontre qui a rassemblé vingt femmes maestros venues de 13 pays. C'était une première mondiale. Elles ont examiné ensemble les difficultés auxquelles elles se trouvaient confrontées dans l'exercice de leur profession, en particulier en ce qui concerne l'égalité des chances. Et elles ont conclu à la nécessité d'une action commune et à la création d'une association internationale pour soutenir cette action, et pour que les gens se rendent compte que la femme maestro existe. Des manifestations musicales sont d'ailleurs organisées annuellement au début du mois de mars. Cette action en commun est extraordinaire dans un métier où normalement, on ne se donne pas la main. En résumé, j'ai toujours été persuadée que les femmes ont leur place dans la musique, même si l'Histoire démontre le contraire. Et je l'ai prouvé en créant en 1991 mon orchestre à cordes " I musici Brucellensis " à la tête duquel j'ai déjà invité plusieurs femmes maestros.

Esprit libre : Ne rêvez-vous pas d'être reconnue en Pologne ?
Zofia Wislocka : Si mais c'est trop tôt ou trop tard... La Pologne est un pays extraordinaire mais les mentalités doivent encore évoluer vers un peu plus d'ouverture d'esprit, notamment envers les femmes maestros. Trois femmes polonaises chefs d'orchestre font partie de l'association mais elles ne bénéficient d'aucune reconnaissance là-bas. L'héritage catholique y est sans doute pour quelque chose. Je suis trop libre, trop ouverte pour être acceptée en Pologne. De plus, je vis ici depuis 31 ans. Pourquoi revenir en arrière ?

Amélie Dogot


À la tête de l'orchestre de l'ULB depuis 1981, Zofia Wislocka a toujours baigné dans la musique. Celle qui chantait avant de savoir parler a dû quitter sa Pologne natale pour pouvoir exercer son art. À une époque où être une femme maestro relève encore du défi - elles sont 500 dans le monde mais on ne les connait pas -, cette musicienne polyvalente se bat pour la reconnaissance de ses consoeurs.



 
  ESPRIT LIBRE > AVRIL 2006 [ n°39 ]
Université libre de Bruxelles