La notion d'identité
Du pluralisme des valeurs à la pensée obscurantiste
...et l'on peut croire que bien des lecteurs y ont trouvé quelque réconfort émotionnel. On n'ose imaginer, par contre, l'accueil
qu'aurait reçu une annonce similaire si elle avait porté sur les " identités " : en effet, qui oserait se féliciter au moment
de prédire que, d'ici cinq ou six siècles, les " identités " qui composent la diversité culturelle de l'humanité se seront
définitivement mêlées pour ne laisser survivre qu'une seule civilisation, une seule philosophie, une seule religion, voire
une seule langue ?
Dans son livre Le jeu des possibles, publié en 1981, François Jacob opposait déjà l'identité biologique, qui ne possède aucune
valeur propre et doit s'effacer devant une indispensable diversité, à l'identité culturelle, forgée par l'éducation et sans
cesse mise en péril, dans notre monde moderne, par une forme de " pidginisation ". Cette dichotomie se fonde, bien évidemment,
sur des arguments objectifs. L'identité ou la diversité biologique est une relation entre des individus (qui, d'ailleurs,
n'appartiennent pas nécessairement à notre espèce), tandis que l'identité ou la diversité culturelle est une relation entre
des communautés humaines (on négligera ici l'éventuelle existence d'une culture animale). Je puis différer d'un congénère
tant au plan biologique qu'au plan culturel, et cette double différence, sans cesse renouvelée, donne sa richesse au patrimoine
global de l'humanité.
Mutliculturalisme/Métissage
Il faut pourtant s'interroger sur la répugnance que nombre d'entre nous, à qui ne viendrait plus l'idée de regretter un métissage
biologique, continuent de ressentir pour la " pidginisation " culturelle. Certes, un discours insistant, célèbre, dans nos
sociétés démocratiques, les bienfaits du " multiculturalisme " ; mais à y regarder de plus près, il prône moins le mélange
des cultures que leur voisinage pacifique et tolérant. D'un autre côté, le souci, parfois obsessionnel, de l'intégrité "
identitaire ", de la " pureté " des doctrines philosophiques ou religieuses, du " non-abâtardissement " des langues, s'exprime
librement auprès d'oreilles très souvent compréhensives et bienveillantes. Cela provient, au moins en partie, de l'attrait
profond qu'exerce le dualisme du corps et de l'esprit : préserver les identités culturelles, ce n'est pas contraindre les
corps, comme ont dû le faire les racistes de tous temps ; c'est raffermir les contenus spirituels face à une menace constante
de désagrégation.
Multiplicité identitaire
Les doctrines pluralistes tentent, depuis longtemps déjà, de démontrer que la défense des identités culturelles peut prendre
pour finalité l'individu lui-même. Elles soutiennent que les diverses communautés humaines ne méritent respect et protection
que si leur existence augmente la probabilité moyenne, pour un individu quelconque, d'exhiber une multiplicité identitaire.
L'indice qui permet de mesurer, au moins approximativement, une telle multiplicité nous est fourni par la fréquence avec laquelle
apparaissent, au sein d'un même esprit, des conflits de valeurs. Cet idéal pluraliste n'exige pas que les thèses, les opinions,
les doctrines, les langues... se mêlent en un syncrétisme unique, mais bien que l'individu puisse cumuler les appartenances
culturelles, même si cela doit le conduire à des ruptures momentanées avec l'une ou l'autre de ses communautés. En bref, la
seule limite à la prolifération des identités gît dans leur éventuelle incapacité à tolérer des abandons sporadiques que vient
motiver la pluralité interne des esprits.
Le pluralisme se heurte cependant à de sérieux obstacles, dont le moindre n'est pas qu'il présuppose un " supermarché " culturel
à la fois inaccessible dans les faits, et incompatible avec l'exercice effectif d'une éducation. Qu'on songe à ces parents
utopistes qui ont parfois prétendu offrir à leurs jeunes enfants l'éventail complet des possibles philosophico-religieux...
Il semble difficile de ne pas en conclure que, dans une société démocratique ouverte, toutes les identités culturelles devraient
partager un socle de valeurs communes - ce qui revient, qu'on le veuille ou non, à ne pas respecter et protéger intégralement
les appartenances identitaires.
Enfin, il est sans doute nécessaire de réfléchir à ce qui peut constituer, ou non, une identité socialement acceptable. Je
vois, a priori, deux critères fondamentaux. D'une part, aucune identité ne saurait se définir au moyen d'une propriété qui
tombe sous les contraintes de la nécessité physique ; d'autre part, toute identité dont relèverait un individu doit être reconnue
et revendiquée par cet individu. Il est symptomatique, à mes yeux, que les courants racistes, xénophobes ou intégristes violent
fréquemment l'une ou l'autre de ces conditions élémentaires.
Marc Dominicy Chercheur et professeur de linguistique générale à l'ULB
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Il y a quelques semaines, un hebdomadaire de grande diffusion se réjouissait à l'idée que, dans un avenir pas trop lointain,
les " races humaines " auraient définitivement disparu : les couleurs de peau et autres particularités corporelles se seraient
fondues dans une sorte de " melting pot " génétique, créant enfin une espèce à l'aspect homogène. Quoiqu'il ne repose sur
aucune base scientifique sérieuse, ce récit d'anticipation n'a soulevé, à ma connaissance, aucune réaction négative, du moins
publiquement...
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Colloque international
Les 10 et 11 mai 2007 : Crises rhétoriques et crises démocratiques
Organisé avec le soutien du FNRS, de la Fondation Perelman, il réunira des spécialistes internationaux de l'argumentation.
Infos : www.ulb.ac.be/valeurs/index_4.html
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