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esprit libre

[à l'université]
 
 
 
DECROLY, 100 ANS DÉJÀ

Au départ médecin, Decroly s'intéressa dans un premier temps à l'éducation des enfants dits " retardés " ou " anormaux ", tout en pressentant que les principes éducatifs élaborés au contact de ceux-ci ne manqueraient pas d'avoir des incidences importantes sur la manière de comprendre les processus éducatifs des enfants dits " normaux ". Il fut aussi professeur de psychologie au sein de notre Université et participa aux enseignements de l'École de pédagogie fondée en 1919, qui allait devenir plus tard notre actuelle Faculté des Sciences psychologiques et de l'Éducation.

Decroly s'inscrit dans une mouvance internationale (le " courant de l'Éducation nouvelle "), dont la filiation des idées remonte notamment à Rousseau. Ce courant compte, outre Decroly, plusieurs représentants illustres, tels que Pestalozzi (Suisse), Dewey (États-Unis), Montessori (Italie), Freinet (France), etc. Bien que chacune de ces figures présente une forte originalité, il est possible de dégager quelques valeurs fondamentales qui les unissent : un profond respect pour l'enfance et les caractéristiques qui lui sont propres, une critique du système d'éducation traditionnelle qui ne respecterait pas ces dernières, la recherche - chacun selon sa propre voie - de formules alternatives originales en matière d'éducation, etc. Ces pédagogues ont également créé des écoles. C'est le cas notamment de Decroly.

Quels sont les idées-clés de Decroly ?

Son principal mérite : s'être préoccupé constamment de chercher à donner du SENS aux apprentissages. Illustrons ce propos par quelques-uns des principes pédagogiques qu'il prône :

* Il dénonce les programmes scolaires conçus selon une logique d'adulte. Pour lui, les apprentissages devraient s'articuler autour des " besoins " fondamentaux (biologiques, psychologiques, sociaux) de l'être humain et de " centres d'intérêt " spécifiques aux élèves.

* Il critique la division excessive des savoirs ou des apprentissages en unités élémentaires qui n'ont plus guère de sens pour l'élève. Il prône au contraire une approche dite " globale " et en particulier pour l'apprentissage de la lecture.

* Il reproche également l'excès de verbalisme de l'école et la passivité dans laquelle elle maintient les élèves. Il prône une éducation globale (de la tête, du coeur, de la main) et une méthode active se déployant selon la séquence : observation - association - expression.

Que penser aujourd'hui de ces propositions ?

Chacune d'entre-elles peut faire l'objet de critiques :

* La critique principale concerne sans aucun doute la " méthode globale " en matière d'apprentissage de la lecture qui fait encore l'objet de vifs débats. Des travaux en psychologie cognitive notamment ont montré que, chez le jeune lecteur, l'apprentissage explicite du code de la lecture (correspondance phonème-graphème) apparaît souhaitable dès le départ ; ce qui ne doit pas conduire pour autant à négliger d'autres dimensions qui contribuent à donner du sens à l'activité de lecture.

* L'idée d'articuler les apprentissages autour de " besoins " et de " centres d'intérêt " a le mérite de prendre en compte la motivation de l'élève. Cependant, elle peut conduire aussi à une dérive : une forme de psychologisation excessive dans la manière de concevoir le phénomène d'apprentissage, faisant fi notamment d'une réflexion épistémologique sur les enjeux d'un savoir, d'une discipline scientifique ou d'une discipline scolaire, etc.

* L'idée de considérer que l'observation par l'élève constitue le point de départ de l'apprentissage traduit, si elle est prise au pied de la lettre, une conception fort " empiriste " de l'apprentissage. Or, ce n'est pas l'observation en soi qui serait au coeur de l'apprentissage, mais le fait de se poser des questions, notamment en confrontant ses représentations à ce qui est observé, ce qui correspond davantage à une conception " socio-constructiviste " de l'apprentissage. Mais cette dernière remarque porte plus sur la terminologie que sur le fond, car dans la pratique, les élèves de l'École Decroly sont fortement stimulés et encouragés à se poser des questions (ce que ne manquent d'ailleurs pas d'apprécier leurs professeurs à l'Université !).

Ces différentes critiques n'enlèvent cependant rien au mérite qu'a eu Decroly d'ouvrir des pistes de réflexion profondément novatrices à propos notamment de la question fondamentale du sens de l'apprentissage. Elles visent simplement à mettre en garde. Évitons d'ériger un certain nombre de pratiques pédagogiques en " méthode ", " système " ou " dogme ". Nous pensons que le grand humaniste, homme d'ouverture et de progrès qu'était Decroly aurait été le premier à souscrire à un tel principe et à se réjouir d'une actualisation et/ou remise en question de ses idées !

Une telle réflexion est d'ailleurs actuellement en cours et débouchera sur un colloque les 24 et 25 avril 2007, organisé conjointement par l'Ecole Decroly et par l'ULB.

José Wolfs
ULB, Sciences de l'éducation, Président de la Section inter-facultaire de l'Agrégation.

En 1907, le Dr. Ovide Decroly fondait une école à Bruxelles, dont la devise était " École pour la vie, par la vie ". Nous commémorons aujourd'hui son centenaire : c'est l'occasion de rappeler qui fût Decroly et l'influence importante qu'il a exercée au sein du monde de l'éducation.



À lire, à voir
- Cent ans sans temps, 50 portraits d'anciens élèves. Sortie fin avril, Editions : Contraste
- Du 26 avril au 20 mai, au Musée d'architecture-La Loge, 86, rue de l'Ermitage - 1050 Ixelles : exposition des portraits d'anciens élèves réalisés par Nicolas Van Brande

Infos : www.centenaire-decroly.be

 
  ESPRIT LIBRE > AVRIL 2007 [ n°48 ]
Université libre de Bruxelles