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Canada : des Esquimaux aux Inuit

Les Esquimaux, appellation d'origine proto-algonquienne signifiant " parlant une langue étrangère ", ont vécu certains changements sociaux suite aux contacts avec des pêcheurs (XVIe siècle) puis avec des explorateurs et surtout des missionnaires, très actifs dès la fin du XIXe siècle. C'est cependant au lendemain de la deuxième guerre mondiale que l'État canadien, soucieux d'assurer sa souveraineté territoriale en période de guerre froide, montra un nouvel intérêt pour ses ressortissants nordiques. Il favorisa une sédentarisation massive induisant un changement social radical au sein de ces communautés de chasseurs-cueilleurs.

" Les hommes "

Si une volonté d'assimilation des populations arctiques animait les autorités canadiennes jusqu'au milieu des années 70, leurs relations avec les Inuit - et les autochtones en général - ont fortement changé au cours des dernières décennies. Les Esquimaux d'hier figuraient sur les registres nationaux sous forme de numéros, les Inuit d'aujourd'hui - terme signifiant " les hommes " en Inuktitut - ont vu aboutir une large partie de leurs revendications territoriales. Le " Canada inuit " possède ses territoires et régions - le Nunavut, le Nunavik, la région des Inuvialuit et les Inuit du Labrador -, ses institutions, des organismes représentatifs, etc. Si le niveau de vie des Inuit est généralement considéré comme correct, leur dépendance économique à l'égard de l'État ainsi que les conséquences du processus de transition socio-culturelle qu'ils traversent, posent des problèmes que les nombreuses recherches et commissions les concernant ne peuvent encore résoudre. Les aînés sont nés sous la tente ou l'iglou, les jeunes maîtrisent la langue de Shakespeare (dans le Nunavut), voire le français (dans le Nunavik), souvent mieux que l'Inuktitut et ils excellent en informatique. Le fossé intergénérationnel est immense et le sentiment de perte d'un passé récent mais néanmoins révolu est manifeste tant auprès des intéressés qu'auprès de ceux qui se chargent de les étudier.

Associés à la recherche

Dans un souci de revalorisation de la " culture " inuit, la tradition et les " aînés " se taillent la part du lion en matière de recherche anthropologique au risque d'enclore les populations inuit dans la cage dorée d'une identité ethnique essentialisante, les jaugeant sans cesse à un passé retrouvé ou recréé. Les Inuit cherchent, non sans difficulté, à conjuguer ce passé sublimé avec la nécessité absolue de faire face à un système de pensée et un mode de vie euro-canadiens. La préservation d'un équilibre socio-politique et économique national modèle les rapports de force qui sous-tendent les relations entre les minorités autochtones et la nation. C'est dans ce contexte que s'inscrivent les études anthropologiques ou géographiques. On attend du chercheur qu'il pose sa pierre à l'édifice national multiculturel canadien. Et c'est l'un des éléments les plus intéressants de cette problématique : les autochtones sont devenus partenaires de la recherche ; ils sont intégrés dans le processus scientifique. La quasi-totalité des résultats obtenus doit d'ailleurs leur être restituée. De même, toute recherche les concernant doit faire l'objet d'une demande préalable.

En réunissant des spécialistes venus de différents horizons géographiques et disciplinaires -anthropologues, ethnolinguistes, géographes -, le colloque a levé un coin du voile sur les perspectives de la recherche anthropologique impliquée et appliquée en Amérique du Nord et a été l'occasion d'aborder, à partir du cas des Inuit canadiens, les processus d'articulation s'opérant entre le passé, le présent et le futur au sein de cet espace social interculturel spécifique, suivant en cela les objectifs du CIMS. Une autre originalité du colloque était de réunir, en dehors du Canada, des chercheurs canadiens et européens pour ouvrir la discussion sur cette problématique sensible. Cette extériorité qui permet d'autres types d'échanges scientifiques est une des principales originalités du travail des centres d'études canadiennes comme celui de l'ULB. Le colloque sera prolongé par la thèse de doctorat de Pascale Visart qui propose une approche anthropologique des Inuit canadiens à travers leur production artistique contemporaine, soumise elle aussi à une évaluation en fonction de son caractère " traditionnel " ou non.

Pascale Visart


Serge Jaumain

(CEC)
Pierre Petit

(CIMS)

La recherche anthropologique sur les autochtones du Canada comporte des spécificités qui la distinguent très nettement de la manière dont on conçoit cette discipline en Europe. Un récent colloque organisé à l'ULB a permis de confronter les points de vue des chercheurs européens et canadiens. Une première à l'ULB.



Le colloque
À l'initiative du Centre d'études canadiennes (CEC) et du groupe de recherche Construction interculturelle des mondes sociaux (CIMS), et en collaboration avec la Société des américanistes de Belgique, l'ULB a accueilli du 2 au 4 mars 2005, un colloque international intitulé " Le Canada inuit : les enjeux de la recherche anthropologique en Amérique du Nord ". L'objectif de cette rencontre était double : aborder la problématique théorique relative au statut et aux enjeux de la recherche anthropologique en Amérique du Nord tout en présentant un large bilan de l'état des connaissances sur les sociétés inuit canadiennes dans leur réalité sociale contemporaine.
Centre d'études canadiennes :
http://www.ulb.ac.be/philo/cec/

 
  ESPRIT LIBRE > MAI 2005 [ n°31 ]
Université libre de Bruxelles