Universités en changement
Une même " révolution lente " peut-elle se déclencher simultanément à des milliers de kilomètres de distance ? Assurément
" oui ", à entendre les orateurs - économistes, sociologues, historiens... - belges, français et canadiens, réunis lors du
colloque " Enjeux et défi des sociétés de la connaissance au Canada et dans l'Union européenne " qui se tenait à l'ULB, fin
mars.
Mis sur pied par le Centre d'études canadiennes et le Centre de l'économie de l'éducation de l'ULB, le colloque a permis de
brosser un panorama des universités désormais obligées de s'adapter aux discours sur la rationalisation et la performance
dans un contexte d'accroissement des effectifs étudiants et de stagnation du financement public. Impossible ici d'évoquer
chacune des interventions de ces deux journées ouvertes par Karel Vinck, ancien " patron des patrons " flamands et président
actuel du Conseil flamand de la politique scientifique.
Recherche et managering
Premiers acteurs parfois forcés de ces changements au sein des universités : les chercheurs eux-mêmes. Fondées sur un degré
élevé d'appropriation des résultats de la recherche scientifique dans les dispositifs économiques nationaux, les sociétés
de la connaissance impliquent une évolution du métier de chercheur, souvent appelé à devenir également manager. Houssine Dridi,
de l'Université de Montréal, a étudié les impacts des modes de financement et des stratégies d'innovation sur la pratique
de la recherche universitaire au Québec. Face aux avancées technologiques, à la concurrence en hausse et aux demandes croissantes
des acteurs socio-économiques, on observe un renforcement des alliances entre universités et entreprises. À titre indicatif,
au Québec, la subvention pour des partenariats entre universités et entreprises a augmenté de près de 500% entre 1993 et 2001.
Les universités jouent par conséquent un rôle de plus en plus important dans la recherche-développement : de 10% de R et D
menée par des universités en 1995, on a aujourd'hui atteint environs 35%.
Universités-entreprises au Québec
En 2003 et 2004, Houssine Dridi a coordonné une recherche sur les impacts de ces collaborations universités-entreprises à
travers des entretiens avec les responsables de Bureaux liaison entreprises universités (BLEU) et de professeurs-chercheurs
de quatre universités et deux écoles affiliées québecoises. Il est apparu notamment que les universitaires impliqués dans
ces collaborations acceptaient la pertinence économique et sociale de leur recherche. Ils citent parmi les atouts de cette
interaction : le financement de leur recherche, la confrontation à des problématiques industrielles concrètes et les perspectives
d'engagement pour leurs étudiants. On note également que cette collaboration n'a pas d'incidence sur l'évolution de leur carrière
scientifique, pas plus que sur la liberté académique (du moins, si cette question a été réglée avant la signature du contrat)
ou sur la production scientifique (les chercheurs publient même plus mais dans des revues parfois moins prestigieuses). On
constate toutefois que si les professeurs-chercheurs-entrepreneurs (qui ont créé leur spin-off et financent par ce biais leur
recherche) deviennent plus nombreux et plus influents dans les universités, deux courants de pensée continuent à s'affronter
: d'une part, ceux qui voient en la recherche fondamentale la source d'une éventuelle recherche appliquée et refusent la
marchandisation de leur travail ; d'autre part, ceux pour qui la recherche appliquée génère de la recherche fondamentale et
placent l'utilité économique avant l'utilité sociale de celle-ci. Avec un constat pour les universités : au-delà des trois
missions classiques - enseignement, recherche, services à la collectivité - s'ajoute désormais une quatrième mission en croissance
: la commercialisation des résultats de la recherche.
USA-Europe : le déséquilibre
Autre regard sur cette évolution des universités, celui d'André Sapir. L'économiste de l'ULB a rappelé l'immense décalage
qui existe entre les États-Unis et l'Europe des quinze : les Américains consacrent 5,6% de leur PIB à la R et D et à l'enseignement
supérieur contre seulement 3,3% en moyenne côté européen. La ventilation de ces budgets est, elle aussi, intéressante : 2,6%
à la R et D et 3,1% à l'enseignement supérieur aux États-Unis contre respectivement 1,9% et 1,4% en Europe.
Nathalie Gobbe
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Face aux transformations des universités, le Centre d'études canadiennes et le Centre de l'économie de l'éducation de l'ULB
ont proposé un regard croisé Canada-Union européenne. Histoire de mieux appréhender cette nouvelle société de la connaissance.
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