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Les sciences, en culottes courtes De l'école des devoirs à l'Univ'

" JE PASSE LA PAROLE à mon collègue ". Les quarante enfants âgés de dix à onze ans des écoles des devoirs de Bruxelles ne se sont pas étonnés d'entendre cette phrase de la bouche d'un de leurs camarades lors du premier séminaire du projet " Les sciences dans nos quartiers ". Tels de vrais conférenciers, ils étaient investis d'une mission : présenter aux autres le résultat de leurs expériences sur l'électricité, la photographie et le cinéma, ainsi que sur l'eau. Tous se sont pris au jeu et se sont véritablement glissés dans la peau de chercheurs scientifiques.

Accéder au savoir par le savoir-faire, telle est la méthode pédagogique appliquée par l'asbl La Scientothèque. Partant du constat que la compréhension des phénomènes et des machines qui nous entourent semble réservée aux seuls scientifiques et chercheurs, et que le fossé se creuse entre ces derniers et la population - a fortiori celle des quartiers défavorisés -, La main à la pâte-Belgique et La Scientothèque tentent de renouer avec les sciences. La première association concentre ses activités à l'école maternelle et primaire tandis que la seconde se dédie à l'éveil scientifique et technologique dans le cadre de l'accueil extrascolaire.

Le principe de l'ampoule

" Nous travaillons surtout avec les milieux défavorisés car la pédagogie active leur convient bien ", explique Patricia Corieri, docteur en Sciences appliquées à l'ULB et impliquée dans les deux associations. Observer, investiguer, s'interroger, cette pratique de la science implique une réelle participation. Il ne s'agit pas d'écouter passivement le professeur dispenser un cours. Les scientifiques en culottes courtes choisissent eux-mêmes le thème qu'ils souhaitent approfondir avant d'amorcer la phase d'expérimentation. " Nous ne voulions pas une école après l'école ; c'est pourquoi nous avons développé des activités sous la forme de différents ateliers autour d'un thème ", poursuit Patricia Corieri. Pour comprendre le principe de l'ampoule, Chahrazad l'a tout simplement démontée afin de voir de ses propres yeux de quoi elle se compose. Certains ont construit un photogramme ou un sténopé. D'autres encore ont tenté de faire flotter une boule de pâte à modeler.

De l'école des devoirs à l'univ'

Grâce au projet de La Scientothèque, chaque semaine, les sciences investissent les écoles de devoirs d'Anderlecht, Etterbeek, Laeken, Saint Josse et Forest. Le 8 mars, pour la première fois, ces " quartiers " se sont donc déplacés jusqu'à l'ULB, présentée aux enfants comme " un lieu où on fait des sciences et de la recherche ". Patricia Corieri précise que l'endroit n'a pas été choisi par hasard : " Avec la conférence, nous faisons le lien entre l'école de devoirs et l'Université, lien qui n'est pas toujours évident ". En effet, peu d'enfants issus de milieux défavorisés poursuivent des études supérieures de niveau universitaire. Les amener sur un campus permet de leur montrer une institution au sein de laquelle les sciences occupent une place prépondérante. Et aussi de démythifier l'image de l'institution universitaire à leurs yeux.

Dans les couloirs de l'auditoire Solvay sur le campus de la Plaine, peu avant le début de la conférence, la tension était palpable : les apprentis orateurs relisaient leurs notes, répétaient une dernière fois avant de prendre la parole en public. Deux invités étaient présents pour introduire brièvement les thèmes de l'électricité et du cinéma : Pascale Nardone, professeur à la Faculté des Sciences, et Isabelle Biver, historienne du cinéma. Les enfants ont donc pu se rendre compte que les scientifiques n'arborent pas tous un tablier blanc et des cheveux grisonnants et hirsutes...

La parole aux enfants

Si Sarah, la première conférencière de Couleurs Jeunes à Anderlecht a éprouvé quelques difficultés à se lancer, une fois la glace rompue, les présentations se sont déroulées dans le calme et la bonne humeur. Avec des mots, des dessins, des démonstrations, les enfants ont présenté leurs découvertes à leur façon. Ainsi, les huit jeunes de l'Espace relais famille de Laeken ont construit une maison de poupées en carton dans laquelle ils ont placé le fruit de leur travail sur l'électricité : dans le bureau, une alarme sur l'ordinateur ; dans la discothèque, une boule à facettes qui tourne ; dans la salle de jeu, un électro artisanal et enfin, dans le salon, un sapin de Noël illuminé. Le grand sourire des enfants descendant de l'estrade après leur passage en disait long. Même les petits " couacs " - une expérience qui ne marche pas du premier coup, par exemple - ont été l'occasion d'aborder les difficultés que peuvent rencontrer les scientifiques, même ceux qui ont plus de onze ans...

Comme le pense Patricia Corieri, cette activité restera gravée dans leur mémoire : " Le principe de la conférence constitue une véritable motivation pour ces préadolecents qui ne sont pas souvent valorisés. L'expérience est très enrichissante pour eux ; ils se sont exprimés devant un public, une caméra de télévision et même devant un ministre [ndlr : Charles Picqué faisait partie du public]. Ils auront donc plus de facilités à le faire en classe ".

Amélie Dogot


Avec leur école des devoirs, des enfants issus de milieux défavorisés réalisent des expériences sur des phénomènes qui les entourent, avant de consigner leurs observations. Le 8 mars, La Scientothèque asbl a organisé sa première mini-conférence scientifique. Étape ultime pour faire de ces enfants de véritables chercheurs en herbe : présenter leur sujet.



 
  ESPRIT LIBRE > MAI 2006 [ n°40 ]
Université libre de Bruxelles