[page précédente]    [sommaire]    [page suivante]  
esprit libre

[International]
 
 
 
Gérard Mortier L'opéra, miroir de nos âmes européennes

Si Joe Starr (ndlr : le chanteur du groupe de rap NTM) avait été présent le 13 mars dernier à la conférence de Cultures d'Europe, ses oreilles en auraient tremblé : Gérard Mortier expliquait au public venu l'écouter que " oui, le rap est aussi de la musique 'classique'... dans la mesure où il est une expression sociologique de son époque ". À bien y réfléchir, le propos n'a rien d'étonnant dans la bouche de ce féru de musique, ce " passeur de culture " qui est aussi un " passeur de frontières ", qu'elles soient géographiques, humaines ou musicales.

Une identité à redécouvrir

Identité européenne, mythologie, art japonais, architecture des théâtres, religion et laïcité, érotisme oriental, citoyenneté, Histoire de la musique... : durant les deux heures de conférence et de débat, l'homme tracera, avec la passion qui le caractérise, mille petits sentiers autour de l'opéra, nous invitant à les suivre. Gérard Mortier rêve d'une Europe fédérale : " l'identité européenne n'est pas à construire, dit-il, elle existe ".

" L'essentiel pour moi, est de démontrer à un public européen que l'opéra peut lui faire découvrir sa propre identité ", dira-t-il, en faisant référence à la... Suisse et au Guillaume Tell de Rossini inspiré par Friederich von Schiller. " L'opéra est vivant, il n'est pas passéiste ".

La naissance de l'opéra remonte à la fin du XVIe siècle à Florence. Rapidement, il conquiert l'Europe. S'il est spectacle par excellence, il est plus qu'un divertissement. À peu près à la même époque, à l'autre bout du monde, apparaît le théâtre japonais, le Kabuki. Si celui-ci est resté traditionnel, l'opéra témoigne par contre de l'évolution d'une Europe se déplaçant d'Est en Ouest. Dans la mythologie, Zeus se transforme en taureau et enlève la vierge Europe. Le culte du taureau nous rapproche de l'Égypte, de l'Orient.

Évolutions

L'évolution de l'identité européenne va être influencée par les échanges dus au commerce sur les bords de la Méditerranée. Avec le Faust de Goethe et le Don Juan de Mozart, on assistera aussi à une libération de l'esprit et du corps, à l'éloignement des carcans imposés par l'église, à la volonté de l'homme de se remettre en question. Cette remise en question s'exprimera, entre autres, à travers l'évolution musicale européenne. Quant à l'esprit de laïcité qui va se développer, il n'exclura pas pour autant la religion, celle-ci restant une source d'inspiration pour le théâtre et la musique.

L'âme et l'esprit

L'opéra, issu du théâtre grec, balance entre interrogation existentielle et divertissement. Désirs, passions, sentiments, pouvoir : le chant et l'opéra en particulier ont exprimé pendant des siècles l'évolution de la psychologie humaine. Et Gérard Mortier de constater avec un brin d'ironie une corrélation entre la disparition des théâtres dans nos villes et l'augmentation du nombre de cabinets de psy.

Mais pourquoi le dire en chantant ? Le chant, explique Gérard Mortier, permet d'aborder des situations existentielles avec un certain naturel, même lorsqu'elles sont artificielles. En faisant un petit détour, pour appuyer son propos, par " 2001 Odyssée de l'espace " de Kubrick, resté célèbre pour sa bande originale et l'utilisation, lors de la première scène futuriste, de Also Sprach Zarathustra de Richard Strauss.

Quel est l'avenir de l'opéra au XXIe siècle ? Le cinéma a repris les fonctions essentielles de l'opéra : la narration, la mise en abîme des passions humaines... Par ailleurs l'opéra s'est éloigné de son assise populaire. En tant que forme d'art créative, il a probablement terminé son oeuvre, dira Gérard Mortier. D'autres formes ont pris et prendront le relais. Ce qui ne signifie évidemment pas la mort de l'opéra : il brillera toujours au travers des oeuvres d'hier, qui continueront à être interprétées, dans des mises en scène renouvelées. Et aussi au travers de cette utopie, cette volonté de dépasser le réel et de changer le monde qui en est la sève.

Alain Dauchot


Spectacle populaire durant plusieurs siècles, l'opéra a perdu de sa superbe entre les deux guerres mondiales. Autres temps, autres moeurs : l'apparition du cinéma puis de la télévision vont clairsemer les rangs des amateurs du genre. Heureusement, l'opéra a pu compter sur quelques fervents défenseurs qui en ont assuré le renouveau. Gérard Mortier est sans aucun doute un de ceux qui a su insuffler de la modernité à cet art, tout en lui conservant son sens initial : celui de nous émouvoir et de nous faire réfléchir.



 
  ESPRIT LIBRE > MAI 2006 [ n°40 ]
Université libre de Bruxelles