L'identité économique de la Région bruxelloise :
diversité ou spécialisation ?
Entre 1985 et 2004, la croissance de la valeur ajoutée (VA) totale dans l'AMB a été d'environ 2,2% par an, soit une performance
légèrement supérieure à la moyenne nationale belge (2,1% par an). La production de biens et services a crû moins vite en
RBC (la zone centrale) qu'en Brabant wallon et flamand (la périphérie) en raison de l'étalement urbain des activités humaines
et non pas parce que les entreprises situées en périphérie auraient été nettement plus efficaces.
Pour le voir, on peut utiliser comme indicateur la valeur ajoutée par travailleur - ce qu'on appelle la productivité apparente
du travail. D'abord, celle-ci est aujourd'hui à peu près identique en périphérie et en RBC, tant dans le secondaire au niveau
agrégé (industrie et construction) que dans les services (85% de l'économie métropolitaine). Ensuite, la VA totale par travailleur
a progressé au même rythme de 0,9% par an en RBC et dans les deux Brabant, soit légèrement plus vite que dans le reste de
la Belgique. Dans le tertiaire, le différentiel de croissance entre centre et périphérie depuis 1985, semble bien imputable
à la diffusion spatiale des services puisqu'en réalité la productivité a crû plus vite en RBC. Par contre, dans l'industrie
manufacturière, la croissance supérieure positive en périphérie serait le fruit d'une combinaison des deux phénomènes : décentralisation
relative des activités et rattrapage (et même dépassement de 15%) de la productivité moyenne des entreprises situées en périphérie.
Production manufacturière
Ces ajustements spatiaux des unités de production et de leur efficacité ont permis à la productivité dans l'industrie manufacturière
métropolitaine de croître, depuis une vingtaine d'années, au même rythme que la moyenne nationale impressionnante de 3% par
an, si bien que la production de biens manufacturés a progressé dans l'AMB à un rythme annuel moyen de 1% en dépit des pertes
d'emplois dans ce secteur. La production manufacturière en zone centrale (RBC) a par contre baissé en volume de 1% par an
depuis 1985, ce qui s'explique par la tendance à la périurbanisation de l'industrie européenne depuis les années 50. La désindustrialisation
de l'économie métropolitaine est donc relative plutôt qu'absolue, et est due à la hausse de la part des services dans l'économie.
Il faut souligner que la chute de l'emploi manufacturier de l'AMB entre 1985 et 2004 (- 42.000 postes salariés) a été accompagnée
d'une hausse concomitante, plus que proportionnelle, de l'emploi dans les services, si bien que l'emploi salarié métropolitain
total a en réalité augmenté de 26% sur la période d'étude (+215.000 postes).
Tissu économique " sur-spécialisé "
La RBC est aujourd'hui " sur-spécialisée " dans les services (activités financières, immobilier, services aux entreprises,
administrations publiques) ce qui reflète dans beaucoup de secteurs des avantages comparatifs indéniables accumulés au fil
des années, voire des siècles (les savoir-faire locaux) ou obtenus par décisions politiques (rôle de capitale multiple).
Néanmoins, les travaux économétriques européens récents ont montré que la diversité des structures productives urbaines encourage
la croissance économique à long terme dans une plus grande mesure que ne le fait la spécialisation. Premièrement, la diversité
des habitants, des travailleurs, des machines, des services, renforce certaines forces de marché favorables à l'agglomération
urbaine des activités. Par exemple, la ville permet un meilleur appariement entre les offres et les demandes sur le marché
du travail. Deuxièmement, l'histoire économique a clairement montré qu'en ville, lieu de l'innovation par excellence, la
communication des idées entre des personnes travaillant dans des branches d'activités différentes favorise l'accumulation
de nouvelles connaissances.(1)
Les analyses économétriques sur la croissance dans les arrondissements belges suggèrent ainsi que la sur-spécialisation de
la RBC dans les services et sa faible diversité sectorielle relative auraient contribué significativement à son déficit de
croissance économique dans les années 90. (2)
Ne pas cibler sans diversifier
Il ressort de cette analyse que toute décision éventuelle de ciblages sectoriels des aides, en particulier pour combattre
le chômage, relativement massif, des personnes à faible qualification, devrait être fondée sur une analyse préalable de l'impact
d'une telle décision sur le degré de diversité sectorielle du tissu économique bruxellois. Le gouvernement de la RBC devrait
aussi chercher à renforcer la diversité sectorielle lorsqu'il veut soutenir les activités à qualifications relativement "
faibles ".
Didier Baudewyns Économiste, chercheur qualifié CFB, DULBEA
|
L'évolution de l'identité économique d'une ville-Région comme la Région de Bruxelles-Capitale (RBC) ne peut être appréhendée
en faisant abstraction des zones périphériques avec lesquelles elle interagit au plan économique. Elles font partie intégrante
de ce qu'on appelle l'aire métropolitaine bruxelloise (AMB). Il faut en outre prendre un recul temporel suffisant, c'est-à-dire
d'au moins 20 ans. L'identité économique bruxelloise peut alors être analysée sous deux aspects interdépendants: celui de
la dynamique de croissance économique et celui des mutations du tissu économique local.
|
(1)Voir, par exemple, Bairoch P. (1985). De Jéricho à Mexico. Villes et économie dans l'histoire, Paris, Gallimard.
(2)V. Baudewyns D. (2007), " Structure économique et croissance dans l'aire métropolitaine bruxelloise : Spécialisation ou
diversité ? ", Brussels Studies, n°3 (téléchargeable à l'adresse http://www.brusselsstudies.be/).
À lire
Didier Baudewyns a publié de nombreux rapports de recherche en matière d'économie régionale et urbaine ; la dernière s'intitulant
: " Structure économique et croissance dans l'aire métropolitaine bruxelloise : croissance ou diversité ".
|