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Tourisme et ville Une relation à prendre au sérieux

Le tourisme urbain a connu un essor très important au cours des années 90. Cet essor s'est inscrit dans le mouvement de globalisation et d'accroissement de la compétition interurbaine qui a mené les pouvoirs publics à développer de nouveaux outils de gouvernance comme le plan stratégique. Ce nouveau modèle de gestion urbaine s'est largement ouvert à une approche managériale de la ville qui la considère comme un produit à positionner sur un marché concurrentiel. C'est ainsi que les pouvoirs publics se positionnent de plus en plus fréquemment dans une optique de différenciation afin de mettre en exergue la spécificité de la ville et, lâchons le mot, son identité.

Or, la question identitaire est également, sinon avant tout, une question politique, qui renvoie à une série de données anthropologiques et historiques liant une communauté humaine à un territoire, et en l'espèce, à un territoire urbanisé. Dès lors, de ce lien inédit entre optique managériale et question identitaire, semblent surgir de nouveaux enjeux que les différents intervenants au colloque ont habilement mis en évidence.

Sortir des sentiers battus

Une première série de communications s'est centrée sur des destinations de renom : Paris et Las Vegas. L'analyse de ces cas d'étude a souligné le processus de production et de stabilisation progressive d'imaginaires de la ville concentrés sur les objets architecturaux et urbanistiques organisant une image de la ville réduite à quelques hauts lieux bien connus. La lourdeur d'un tel rapport à la ville soulève aujourd'hui les questions d'innovation et de liberté d'action des pouvoirs publics dans son actualisation.

Comment, dès lors, penser l'urbanité en dehors du décor urbain objectivé, incarné par le Paris haussmannien ou les caricatures de Las Vegas ? Les auteurs indiquent que l'innovation passe par une mise en exergue de la subjectivité et de la proximité dans le rapport à l'environnement urbain qui permettent de sortir des sentiers battus et de redessiner les territoires touristiques de la ville afin de livrer les visiteurs à de nouvelles expériences.

Identité et image

La seconde série de communications s'est attardée sur des destinations touristiques urbaines plus marginales comme Bruxelles et Tokyo. Deux communications ont été consacrées à Bruxelles et à l'évolution des rapports entre tourisme et urbanité depuis les années 50. Une première a proposé une lecture des rapports entre l'approche de la ville par les élites locales et la manière dont une image touristique de la ville s'est organisée à l'échelle internationale. S'en dégage une proximité des approches jusqu'aux années 90, où l'image cosmopolite et européenne de Bruxelles a connu un essor important au niveau international alors que l'image produite localement est demeurée très largement liée au patrimoine historique. Ainsi, la question de la subjectivation du rapport à la ville, si elle fut mise en exergue dès la seconde moitié des années 90 par de nouvelles associations, n'a-t-elle connu que tardivement une mise en valeur par le secteur touristique local. Par ailleurs, l'innovation touristique à Bruxelles passe principalement aujourd'hui par une reconquête de son identité européenne et cosmopolite et des territoires qui s'y associent.
Une seconde communication abordait les enjeux politiques portés par ce nouveau rapport entre imaginaires urbains et industrie touristique, en soulignant la place des experts tels les architectes où les " imagineers " dans sa définition. Par ailleurs, le cas de Tokyo a montré le processus de réappropriation locale de modèles internationaux de valorisation, en soulignant notamment, comment l'île artificielle d'Odaiba, réaménagée à partir de modèles occidentaux, est devenue un haut lieu du tourisme tokyoïte.

Urbanité à la campagne

Enfin, trois contributions ont examiné la question de l'imaginaire urbain dans des destinations touristiques qui ne sont pas des villes : les sites archéologiques d'Apamée en Syrie et de Carthage et la campagne québécoise. L'intérêt de ces approches est d'avoir souligné à nouveau l'importance des imaginaires architecturaux et urbanistiques dans la définition de l'urbanité des sites mais aussi, l'importance du rôle des experts dans la définition des hauts lieux de ces territoires.

Ainsi, l'essor du tourisme urbain s'accompagne-t-il d'une diffusion de connaissances sur la ville très souvent proches de caricatures de l'urbanité, incarnées dans certains espaces architecturaux et urbanistiques emblématiques. La prise au sérieux des imaginaires touristiques de l'urbain et de leur influence dans la structuration des identités urbaines impose une réflexion sur la qualité du savoir produit au sein de ce secteur et l'identification des experts qui sont à la source de sa diffusion car s'y joue la standardisation de modèles d'urbanités et, dès lors, des manières de voir et de vivre la ville.

Vincent Calay
Chercheur, Institut de gestion de l'environnement et d'aménagement du territoire (IGEAT) et Centre interdisciplinaire de recherche sur l'Histoire de Bruxelles (CIRHIBRU)

Le 8 décembre dernier, s'est tenu à l'ULB un colloque consacré à l'influence du tourisme dans la formation des identités urbaines (1) : l'occasion de faire le point sur une relation généralement peu prise au sérieux au moment où se recompose l'identité bruxelloise.



(1) Intitulé " Imaginaires urbains du tourisme / Imaginaires touristiques de l'urbain ". La publication des actes de cette journée est prévue pour septembre 2007 : CALAY, Vincent (éd.), Tourisme et Imaginaires urbains, Paris, L'Harmattan (à paraître).

 
  ESPRIT LIBRE > MAI 2007 [ n°49 ]
Université libre de Bruxelles