10 juin : le scrutin du tournant pour Bruxelles ?
Qui sera premier ?
Depuis l'établissement de la Fédération PRL-FDF en 1993, la famille libérale s'était emparée, structurellement pensait-on,
du leadership dans la région. Pourtant, en deux mouvements, les élections fédérales de mai 2003 et régionales de juin 2004
ont spectaculairement modifié la donne. En mai 2003, l'écart entre le parti socialiste et le Mouvement réformateur s'était
fortement résorbé. Un an plus tard, de façon inattendue, le PS avait devancé le MR au scrutin régional, une performance que
même les plus optimistes dans les rangs socialistes n'imaginaient même pas.
Il sera donc très intéressant de jauger la situation à l'aune de cette nouvelle élection. Au scrutin communal d'octobre 2006,
en dépit de la perte de la commune de Forest, les libéraux avaient retrouvé des couleurs et conservé leurs mayorats les plus
en péril (Woluwe-Saint-Lambert, Schaerbeek et Anderlecht). Cette question concerne Bruxelles au premier chef mais elle revêt
une signification plus large. Le rapport de forces entre les deux partis à Bruxelles pourrait avoir un impact crucial pour
déterminer le premier parti en voix et en sièges dans le spectre francophone.
Les transformations de la sociologie électorale
Au-delà des éléments conjoncturels de l'élection régionale de juin 2004 (aura de Charles Picqué, démission de Daniel Ducarme
peu avant l'élection...), le scrutin avait confirmé l'impact des mutations démographiques sur le résultat. Comme tout grand
centre urbain, la mobilité de la population est très importante à Bruxelles. Mais le fait majeur depuis dix ans est l'accession
à la citoyenneté des enfants de travailleurs immigrés d'origine maghrébine, turque, congolaise et, dans une moindre mesure,
portugaise et espagnole. L'enquête effectuée par le Cevipol de l'ULB en 2004 avait révélé les faibles pénétrations des libéraux
et des verts dans cet électorat et, au contraire, la forte présence socialiste et humaniste. Ce schéma sera-t-il corroboré
au scrutin du 10 juin ?
Un statut confirmé ou questionné
On le sait, les visions francophone et flamande sur le statut de la Région de Bruxelles ne sont pas concordantes. Là où les
partis francophones épinglent une région " à part entière ", les formations flamandes mettent en doute ce statut. " Je sais
que je vais heurter ici mes collègues francophones, mais pour moi la Région-Capitale n'est pas 'une région à part entière'
comme ils l'appellent ", énonçait encore récemment Yves Leterme, ministre-président de la Communauté flamande (1). Dans la
perspective du round communautaire annoncé après les élections, cette problématique est cruciale. Le statut de région sera-t-il
confirmé et amplifié ou avancera-t-on vers une vision flamande de co-gestion de Bruxelles par les deux Communautés ?
Un financement adéquat pour Bruxelles ?
Couplée à la question du statut de Bruxelles, la problématique du financement de la Région de Bruxelles-Capitale est une thématique
essentielle. Tous les observateurs convergent pour considérer que Bruxelles est sous-financée par rapport à son triple statut
de capitale : de l'État fédéral, des deux grandes Communautés et, bien sûr, de capitale européenne et internationale. Dans
les discussions postérieures au scrutin, l'amélioration du financement de la Région de Bruxelles-Capitale pourrait être l'une
des revendications des partis francophones.
Quelle(s) circonscription(s) électorale(s) ?
Enfin, on ne saurait passer sous silence la lancinante question de l'arrondissement électoral de Bruxelles-Hal-Vilvorde. Faisant
suite à l'arrêt de la Cour d'arbitrage du 26 mai 2003, le législateur a l'obligation, non pas de scinder - comme l'affirment
erronément de nombreux acteurs politiques et médiatiques néerlandophones - mais de modifier la situation actuelle.
En mai 2005, un groupe ad hoc constitué des leaders des partis de la majorité fut très proche d'un accord mais échoua finalement.
Cette question qui suscite régulièrement des actions d'un certain nombre de bourgmestres flamands de communes situées dans
les cantons de Hal-Vilvorde doit donc être tranchée. Elle est symboliquement et matériellement importante au plan électoral
sous deux angles : quel peut être le destin de la représentation parlementaire des Bruxellois flamands aux élections fédérales
(une scission pure et simple l'anéantirait) et quel lien subsistera-il entre Bruxellois francophones et francophones de la
périphérie bruxelloise dans l'expression du vote aux élections fédérales ?
Pascal Delwit Directeur du Centre d'étude de la vie politique, ULB
|
À l'occasion des élections fédérales du 10 juin 2007, l'enjeu bruxellois sera scruté avec beaucoup d'attention par les observateurs
et les acteurs de la scène politique, tant il apparaît qu'à de nombreux points de vue, ce scrutin peut marquer un tournant
politico-institutionnel pour la Région de Bruxelles-Capitale. En amont, pendant et en aval de l'élection, cinq thématiques
importantes se déclineront comme autant de points clés.
|
(1) Filip Rogiers, Leterme au défi, Bruxelles, Luc Pire, 2006, pp 101-102.
En savoir plus sur les élections fédérales du 10 juin : www.ulb.ac.be/soco/cevipol
|