Tabac : qu'en dit notre coeur ?
De retour des États-Unis, plus précisément de l'Université d'Iowa où il avait passé deux années, Philippe van de Borne a été
surpris : là où auparavant, il ne sentait rien de particulier, il était soudain incommodé par ces fumées de tabac dans les
restaurants ou sur le lieu de travail. À la fin des années 90, en effet, le tabagisme était déjà banni des entreprises outre-Atlantique.
Au-delà du simple constat, le scientifique, devenu chef de clinique adjoint du Service de cardiologie de l'Hôpital Erasme,
s'est intéressé aux questions scientifiques liées à ce tabagisme actif ou passif.
Le système orthosympathique...
Depuis plus de dix ans, il étudie avec ses collaborateurs les mécanismes de contrôle du système nerveux orthosympathique.
Ce système, c'est celui qui, en interaction avec d'autres mécanismes régulateurs, contrôle la fermeture de nos artères, la
force de contraction du coeur, la rapidité du pouls, ainsi que notre pression artérielle. Le Dr. van de Borne a importé des
États-Unis une technique d'exploration électrique du système nerveux orthosympathique. Elle permet, notamment, d'étudier la
régulation du système cardiovasculaire chez les fumeurs. Au fur et à mesure des hypothèses scientifiques et des expériences
menées tantôt sur des patients, tantôt sur des sujets sains, Philippe van de Borne a étoffé ses appareillages, créé de nouveaux
instruments de mesure et mis en place de nouvelles manipulations.
On le sait aujourd'hui, c'est prouvé et démontré, le tabac est un facteur de risque vasculaire majeur : si vous fumez un paquet
de cigarettes par jour, vous doublez le risque d'avoir un problème cardiovasculaire sévère. Ces risques sont maintenus si
vous avez déjà subi un infarctus ou une thrombose cérébrale. Bien plus, le tabagisme tend à effacer l'effet bénéfique de médicaments
contre le cholestérol, l'hypertension artérielle ou de médicaments qui luttent contre la formation de caillots dans les artères.
Alors, s'il fallait encore l'écrire à quelques jours de la journée mondiale sans tabac, oui, fumeur, vous avez tout intérêt
à arrêter ; d'autant qu'il est démontré que le risque cardiovasculaire est réduit automatiquement par l'arrêt du tabac.
... et la nicotine
Voilà pour ce qui est démontré ; il n'empêche, les questions scientifiques foisonnent encore. L'équipe de Philippe van de
Borne s'est notamment interrogée sur l'effet de la nicotine sur le système orthosympathique. La nicotine est, rappelons-le,
cette partie du tabac qui crée l'assuétude et donc qu'on retrouve dans le patch anti-tabac ou chewing-gum pour fumeurs abstinents.
Les recherches l'ont démontré : la nicotine - comme le tabac - active le système orthosympathique. Ceci accélère le rythme
cardiaque, fait grimper la tension, augmente les besoins en oxygène du coeur, etc. Bref, la nicotine est délétère pour le
système cardiovasculaire. Cela dit la nicotine ne comporte tout de même pas autant d'effets négatifs que le tabagisme lui-même,
et elle a le mérite de faciliter l'arrêt du tabagisme chez certains fumeurs... Publiées dans la revue américaine Hypertension,
ces conclusions appelaient une autre question auxquels les chercheurs de l'ULB ont également répondu : quel est l'effet de
la nicotine sur des non-fumeurs ? Réponse : plus important que sur les fumeurs, comme si l'organisme du fumeur avait trouvé
un moyen pour essayer de se prémunir contre les attaques répétées de la nicotine contenue dans la cigarette. Désormais, l'équipe
explore un troisième volet de l'étude : l'effet du tabagisme passif. Ce phénomène reste fréquent en dépit de l'interdiction
de fumer dans les espaces publics, notamment au domicile des fumeurs.
Actifs ou passifs...
Philippe van de Borne et ses collègues s'intéressent également à nos artères. Avec l'âge ou la maladie, les artères deviennent
moins souples, la tension augmente, l'alimentation du coeur en oxygène se perturbe, augmentant d'autant le risque de problèmes
cardiovasculaires. Les chercheurs étudient la rigidité des artères chez des sujets non-fumeurs, qu'ils exposent expérimentalement
à trois types de fumée : fumée de tabac, fumée " placebo " (à base d'extraits naturels de plantes), air pur. Les recherches
sont en cours mais les premiers résultats étonnent partiellement. S'il apparaît clairement que le tabagisme passif - respirer
de la fumée de tabac - diminue l'élasticité des artères ; il semble aussi que le placebo à base d'extraits naturels de plantes
a un effet au moins aussi délétère. Bref, le tabac est dangereux pour nos artères mais la fumée " placebo " ne l'est pas moins
! Les chercheurs s'attellent désormais à identifier les facteurs qui agissent sur cette élasticité.
Nathalie Gobbe
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À l'occasion de la journée mondiale sans tabac du 31 mai, Esprit libre a rencontré le cardiologue Philippe van de Borne, récompensé
il y a quelques mois par le Prix Lambertine Lacroix. Ses recherches nous éclairent sur les liens entre tabagisme - actif ou
passif - et maladies cardiovasculaires.
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