Élections présidentielles en France.
Quand les stéréotypes font de la politique
Les sujets d'une expérience de psychologie sociale (1) - des étudiants américains - participent à un jeu vidéo qui consiste
à faire feu le plus rapidement possible sur un adversaire, mais uniquement si celui-ci porte une arme. Il apparaît que les
sujets tirent plus facilement sur un adversaire noir que blanc. Ce phénomène, qui semble incontrôlable, s'avère indépendant
du degré de racisme des sujets mais est directement lié à leur familiarité avec le stéréotype des " Noirs violents ". De plus,
les étudiants noirs tirent eux aussi plus facilement sur des Noirs armés : les stéréotypes influencent non seulement les membres
du groupe " stigmatisant ", mais également ceux du groupe " stigmatisé ". Il apparaît à la lumière de cette expérience et
de bien d'autres, que les stéréotypes sociaux peuvent conduire les individus les plus tolérants à mettre en oeuvre des comportements
discriminatoires sans qu'ils en aient la moindre intention.
De la catégorisation à l'induction
D'autres études montrent par ailleurs que le simple fait de confronter des personnes d'origine africaine ou afro-américaine
à des stéréotypes décrivant les Noirs comme limités intellectuellement peut induire une baisse de performance dans des tests
d'intelligence. L'activation de ces stéréotypes éveillerait une anxiété à même d'altérer la performance des sujets. Ainsi,
par le simple fait d'être partagés, certains stéréotypes en viendraient à se " vérifier " ; la prophétie se réalise d'elle-même.
Si les stéréotypes facilitent certaines formes de discrimination, ils peuvent également les légitimer. Pensons par exemple
à la période coloniale durant laquelle les Congolais étaient souvent décrits comme dépourvus d'initiative, paresseux, incapables
de parvenir à des idées abstraites. Or, s'ils sont incapables de raisonner abstraitement, il faut penser à leur place ; s'ils
sont sans initiative, il faut leur donner des ordres ; s'ils sont paresseux, il faut les " discipliner ", etc. D'autres stéréotypes,
plus contemporains, remplissent des fonctions similaires, que l'on pense au mythe de " l'éternel féminin " ou à celui du chômeur
" paresseux ".
Enfermement (in)volontaire
En attribuant à des traits psychologiques stables ce qui relève en fait de dynamiques historiques, ils contribueraient à l'inertie
des inégalités sociales : si ce type de stéréotype est partagé au sein d'une société, y compris par ceux qui en sont victimes,
la probabilité d'une action collective visant à modifier ces rapports de force est réduite. Si, en outre, comme dans les expériences
décrites ci-dessus, ces stéréotypes nous conduisent à nous comporter en accord avec les idées fondant des inégalités que nous
récusons, ils apparaissent comme l'outil de domination par excellence. Est-ce à dire que, dans le domaine politique, les stéréotypes
sont uniquement au service du conservatisme ?
Dans l'affiche utilisée pour la campagne présidentielle de Ségolène Royal, on peut voir sa photo accompagnée du slogan " la
France présidente ". Au fil de sa campagne, elle a cherché à se présenter comme l'incarnation des traits qui caractérisent
cette France rêvée (en s'identifiant à Jeanne d'Arc ou Marianne). Ici il s'agit de présenter l'identité d'un groupe social
comme consonante avec un projet politique. Alors que les stéréotypes mentionnés précédemment sont souvent disqualifiés et
attribués aux " autres ", ceux-ci sont assumés et revendiqués. Loin d'être subis, ces " auto-stéréotypes " sont souvent modifiés
stratégiquement en fonction de l'audience à laquelle le (la) candidat(e) s'adresse.
Une stratégie de com'
Qu'il soit assumé ou employé pour disqualifier les autres, le stéréotype, pourvu qu'il soit connu et partagé, présente différents
avantages du point de vue de la communication politique. Il permet non seulement de simplifier une réalité complexe (pensons
à Nicolas Sarkozy évoquant " la racaille " par opposition aux " honnêtes gens " des banlieues), mais également de fédérer
un électorat : souligner que le stéréotype est partagé, c'est aussi insister sur la cohésion du groupe. De même, stéréotyper
permet de se présenter et de se positionner : " dis-moi quels sont tes stéréotypes, je te dirai qui tu es " (ainsi, parler
de " racaille " permet aux électeurs du Front national de s'identifier à ce candidat, qui élargit ainsi son électorat potentiel).
Par ailleurs, dans un espace surmédiatisé, où le temps de parole est limité, le stéréotype sert l'avare : il ne faut pas l'expliquer,
les associations s'opérant d'elles-mêmes. Ce caractère partagé permet en outre de jouer sur les paradoxes : pensons à l'image
de la jeune maghrébine utilisée par le Front National, qui attire l'attention en allant à rebours du stéréotype.
Dans le discours politique, les stéréotypes n'apparaissent plus comme des représentations mentales inconscientes et susceptibles
de nous transformer en automates au service d'un système inégalitaire. Il s'agit alors, au contraire, d'outils rhétoriques
visant à mobiliser le groupe en faveur d'un projet politique, qu'il s'inscrive dans la continuité ou la rupture. Sont-ils
plus respectables pour autant ? La réponse dépendra sans doute de votre adhésion au projet en question...
Olivier Klein premier assistant, Service de psychologie sociale, ULB
Laurent Licata premier assistant, Service de psychologie sociale, ULB
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Le 6 mai dernier, les Français auront élu leur 23e président. Pendant la campagne, les candidats en quête de voix ont usé
- et parfois abusé - de stéréotypes dans leur discours. Olivier Klein et Laurent Licata, chercheurs au sein du Service de
psychologie sociale de l'ULB, se penchent sur la transformation d'une source de discrimination en un outil rhétorique.
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Correll, J., Park, B., Judd, C. M., and Wittenbrink, B. (2002). The police officer's dilemma: Using ethnicity to disambiguate
potentially threatening individuals. Journal of Personality and Social Psychology, 83, 1314-1329.
Pour en savoir plus :
Klein, O. et Pohl, S. (2007). Psychologies des stéréotypes et des préjugés. Bruxelles : Labor (voir résumé en page " livres
").
Reicher, S.D. et Hopkins, N. (2000). Self and Nation. Londres: Sage.
Sanchez-Mazas, M. et Licata, L. (2005). L'Autre: Regards psychosociaux. Saint-Martin d'Hères : Presses Universitaires de Grenoble.
van Ypersele, L. et Klein, O. (2006). Les stéréotypes: approches historiennes. In. L. van Ypersele (Ed.): Questions d'histoire
contemporaine: Conflits, mémoires et identités. Paris : Presses Universitaires de France.
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