La mixité en question
Quand le psychologue américain John Gray publie Les hommes viennent de Mars, les femmes viennent de Vénus, en 1998, le succès
de librairie est immense. L'année suivante, Pourquoi les hommes n'écoutent jamais rien et les femmes ne savent pas lire les
cartes routières, écrit par les Dr. Alan et Barbara Pease, est à nouveau plébiscité par le grand public. Pourtant, les spécialistes
européens restent très réservés quant aux théories défendues dans ces ouvrages. On met en doute la qualité des recherches,
et même leur objet. On parle de thèses anglo-saxonnes simplistes. On crie bien haut qu'il n'existe aucune preuve biologique
d'une quelconque différence entre le cerveau féminin et le cerveau masculin.
Il faudra attendre près de deux ans encore pour que, dans son numéro de novembre 2001, Psychologies magazine consacre un dossier
entier au thème : " Hommes-femmes, vive nos différences ", admettant enfin dans son éditorial que nous avons peut-être trop
longtemps " sacrifié nos différences au nom de l'égalité entre les sexes. "
Processus d'uniformisation
Intouchable égalité ! Chèrement acquise au terme de décennies de lutte féministe, elle s'était érigée en véritable dogme.
Mais de quelle égalité s'agissait-il exactement ? Celle portée par les hippies de mai 68, avec leurs jeans unisexe et leurs
cheveux longs pour filles et garçons ? Celle chantée par Michel Sardou qui voyait la femme des années 80 " moins Colombine
qu'Arlequin " et lui envisageait des carrières de PDG, de pompier de service ou championne du monde des culturistes ? On découvre
aujourd'hui que cette égalité-là s'apparentait plus à un processus d'uniformisation, dans lequel les spécificités de chacun
étaient gommées. On n'en est plus là. Le nouveau slogan à la mode est : égaux, oui, semblables, surtout pas !
Ce changement n'est pas sans influence sur le milieu scolaire. La mixité s'était imposée dans les années 70 comme une conséquence
logique de l'évolution sociale. On la disait plus naturelle, permettant d'éviter la curiosité malsaine, et mieux à même de
préparer les jeunes à vivre une vie d'adultes équilibrés. Des voix s'élèvent aujourd'hui pour dénoncer ses dysfonctionnements
- ce que le Monde de l'Éducation de janvier 2003 appelle ses " ratés ".
Les statistiques mondiales, en particulier la récente enquête PISA de l'OCDE, montrent que les étudiants sont moins performants
que les étudiantes, et ce dans tous les pays, dans tous les domaines et à tous les niveaux, du primaire à l'université. Les
garçons ont donc avec l'école des difficultés que les filles ne connaissent pas. Mais pourquoi ? Mystère.
Dynamique inconsciente
Selon certaines théories très en vogue en Amérique du Nord, les flux hormonaux au cours de la vie embryonnaire provoqueraient
non seulement une différenciation sexuelle des corps, mais également un câblage des neurones distinct chez les garçons et
chez les filles. Leur fonctionnement cérébral ne serait donc pas comparable. De là à déduire qu'il faut élaborer des pédagogies
distinctes pour " Messieurs les cerveaux " et " Mesdames les cervelles ", il y a un pas que beaucoup ne franchiront pas.
Ce qui est sûr par contre, c'est qu'en secondaire, certains adolescents vivent mal cette supériorité intellectuelle de leurs
petites camarades et réagissent par une exacerbation de leur virilité : les attributs masculins traditionnels tels que le
courage ou la force se muent en indiscipline et en agressivité. Dans des situations moins extrêmes, le phénomène est atténué
mais reste observable. Nicole Mosconi a ainsi constaté lors de ses recherches que les garçons ont tendance à prendre plus
de place dans la classe, à parler plus fort et plus souvent. Socialement, ils apprennent à s'affirmer, tandis que les filles
apprennent à s'effacer. Et le professeur participe à cette dynamique inconsciente, contribuant ainsi à perpétuer les stéréotypes.
C'est un autre travers de l'enseignement mixte.
Faut-il conclure de tout ceci que la mixité était une erreur et y renoncer ? Non, répond Nicole Mosconi, car elle a été un
important facteur de démocratisation sociale. Mais peut-être devrait-elle être repensée.
Yvon Molinghen Cellule des relations avec l'enseignement secondaire et supérieur
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Cette année, pour sa traditionnelle Journée des préfets et directeurs, l'ULB avait invité Nicole Mosconi, enseignante à l'Université
Paris-X-Nanterre et auteur de plusieurs livres sur la mixité en milieu scolaire. Une mixité dont les mérites sont aujourd'hui
contestés.
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Les préfèts à l'université
Chaque année, les chefs d'établissements d'enseignement secondaire et d'enseignement supérieur sont invités à l'ULB. Ils sont
traditionnellement réunis en mai par le RES pour participer à une séance de travail et à un déjeuner, de manière à renforcer
les liens qui les unissent à l'université. Thèmes au programme de cette année : les filles face aux études scientifiques (Pierre
Marage), les femmes dans l'enseignement et la recherche universitaire (Danièle Meulders) et les effets et limites de la mixité
dans l'enseignement secondaire (Nadine Mosconi, professeur à l'Université de Paris X Nanterre).
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