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Ginette Kurgan : vous avez dit " dilettante " ?

Esprit Libre : Vous avez une formation en Histoire et vous vous êtes tournée vers l'Histoire économique. D'où vous vient cette passion ?
Ginette Kurgan : J'ai une formation en Histoire médiévale. Ayant fait un travail d'économie médiévale, j'ai constaté que mes connaissances en économie étaient insuffisantes. J'ai donc décidé d'étudier l'économie tout en cherchant un sujet de thèse de doctorat. C'est Jean Stengers qui m'a proposé un sujet très complexe sur la politique d'expansion de Léopold II en Chine. Ce sujet m'a fort intéressée et m'a fait voyager : en France, en Angleterre, en Allemagne, aux États-Unis… Cela m'a permis de rencontrer énormément de monde. En fait, depuis l'âge de dix-douze ans, j'ai toujours rêvé de faire des études d'Histoire. Quant à l'économie, l'Histoire économique était un domaine nouveau, peu exploré, où l'on pouvait faire du neuf. Je me suis donc retrouvée dans les grands courants historiographiques de l'époque en Occident. Des sujets passionnants car ils donnaient lieu à d'énormes débats.

Esprit Libre : Vous vous rappelez des premiers cours que vous avez donnés ?
Ginette Kurgan : J'ai commencé à donner cours en 1969... Mon premier enseignement, que j'ai gardé avec plaisir jusqu'à la fin, était un cours d'introduction aux sciences économiques. Les premières années, j'avais l'un ou l'autre étudiant qui venait au cours avec le manuel d'économie politique de Mendel, pour essayer de me contrer. C'était très stimulant et demandait beaucoup plus de gymnastique intellectuelle que par la suite où les étudiants se sont beaucoup assagis !

Esprit Libre : Votre parcours en tant que professeur vous a amenée à toucher des domaines très variés...
Ginette Kurgan : J'ai souvent changé de cours. Car j'ai toujours aimé le changement ! Ce qui m'a amusé, c'est de me lancer dans des choses qui m'intéressaient vraiment. Ça a été mon moteur. J'ai toujours aimé me lancer, avec des étudiants, sur des sujets inconnus. On partait en exploration ensemble. C'est un peu l'inspiration de la méthode allemande où le maître part à la recherche avec ses disciples. C'est pour cela que je me suis retrouvée ces dernières années avec trois séminaires différents. Je n'avais pourtant pas la vocation d'enseignant au départ… Mais j'aime bien tous les aspects de ce métier. Au fond, je finirai presque par dire que je suis une dilettante (rires) !

Esprit Libre : Vu toutes les responsabilités que vous avez accumulées et les activités que vous avez menées de front, comment avez-vous fait pour avoir une vie de famille épanouissante ?
Ginette Kurgan : Je prenais régulièrement des vacances. J'ai toujours cultivé une vie familiale et une vie privée intenses. J'ai fait de grands voyages, professionnellement d'abord mais aussi à titre privé. Ce qui m'a toujours passionné c'est le désert. Dans le désert, nous avons souvent fait des randonnées d'une vingtaine de kilomètres. Puis il y a la montagne où je vais chaque année pour marcher également. Il y a aussi les Fagnes. Certes, je ne marche plus autant qu'avant, mais il est encore courant que l'on fasse 14 kms… En marchant, j'ai des tas d'idées...

Esprit Libre : Est-ce qu'il vous arrive parfois de ne rien faire ?
Ginette Kurgan : Lorsque je suis en présence d'un de mes petits enfants, je suis dans un état de contemplation... Dans le désert également, tout se dématérialise... C'est une expérience, je ne dirais pas spirituelle, mais très apaisante. Même si certains peuvent avoir peur du désert. Moi, je dors à même le sol, je n'ai même pas peur des scorpions alors que je ne camperais jamais en Europe ! C'est une question d'atmosphère, le sable, le ciel étoilé...

Esprit Libre : Auriez-vous pu faire une carrière en dehors du milieu universitaire ?
Ginette Kurgan : Je n'y ai jamais beaucoup réfléchi. Si ce n'est quand j'ai fait les sciences économiques. À la fin de mes études, on m'a offert des postes en me promettant des carrières prestigieuses et puis j'ai dit non. Cela ne m'intéressait pas, je voulais faire une thèse de doctorat. J'étais considérée comme étant un peu étrange. Au fond, j'étais dès le départ viscéralement attachée au milieu universitaire.

Esprit Libre : À l'occasion de votre dernier cours, on vous a réservé une petite surprise...
Ginette Kurgan : Oui, pour mon dernier cours, mes étudiants m'ont fait une fiesta incroyable ! Ils étaient des dizaines à m'avoir apporté une rose avec chacun un petit message personnalisé. Ce fut un beau complot, je ne me doutais de rien... Ce qui m'a fait plaisir c'est que, malgré toutes mes activités autres, mes étudiants ne se sont jamais sentis abandonnés, ils ont toujours senti que j'étais là avec eux. Ça m'a fait énormément plaisir !

Alain Dauchot


Difficile de résumer le parcours de Ginette Kurgan - qui aura 65 ans en novembre prochain - en quatre lignes d'introduction : président de l'Institut d'études européennes depuis 1998, président du Centre d'études canadiennes qu'elle a contribué à mettre sur pied en 1982, professeur, chercheur, auteur de nombreux ouvrages consacrés à l'économie... Elle fut aussi président de la Faculté de philosophie et lettres, directeur du Bureau de programmation de l'ULB (elle fut très active dans la création de la nouvelle bibliothèque), etc. Intarissable aussi sur sa carrière. Impossible donc de vous faire profiter de toutes ses anecdotes... Morceaux choisis.



 
  ESPRIT LIBRE > JUIN 2003 [ n°14 ]
Université libre de Bruxelles