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esprit libre

[à l'université]
 
 
 
Tu sauveras ton frère, mon fils !

Faute de trouver un donneur compatible avec leur enfant atteint d'une maladie génétique particulièrement grave, des parents désespérés se tournent vers la médecine pour qu'elle les aide à concevoir un autre enfant susceptible de sauver le premier. Pour y parvenir, après une étape de fécondation in vitro classique, l'équipe médicale sélectionne parmi les embryons obtenus celui ou ceux portant les marqueurs requis pour soigner l'enfant malade. L'embryon sélectionné est implanté dans l'utérus de la mère où il est appelé à se développer de la façon la plus naturelle jusqu'à devenir un beau bébé, un individu unique.

Comment le bébé ainsi né va-t-il permettre de soigner son aîné ? On prélèvera dans le sang du cordon ombilical les cellules souches hematopoïétiques qui seront cultivées in vitro. Ces cellules souches, capables de proliférer et de se différentier ultérieurement, seront greffées sur son frère en vue de pallier la déficience qui l'accable. Si l'expérience ne réussit pas au premier essai, des tentatives ultérieures pourront être poursuivies en prélevant des cellules souches de moelle osseuse.

Régression ?

D'où vient dès lors l'émoi soulevé par le recours à cette technique ? Il n'y a pas si longtemps, la mortalité enfantine était tellement élevée qu'il était prudent pour les parents de ne pas trop s'attacher à leur progéniture en bas âge. Ici, comme sous toutes les latitudes de notre bonne Terre, on a souvent conçu des enfants " à but déterminé " : pour asseoir des alliances, pour reprendre l'affaire de Papa, pour s'assurer une forme de pension pour ses vieux jours... L'enfant conçu comme moyen plutôt que comme fin en soi n'est donc pas une invention moderne. Cependant, nos sociétés ont évolué dans le sens de reconnaître les droits spécifiques de l'enfant à être considéré comme un individu porteur d'un projet spécifique. Le bébé-médicament représenterait donc une régression par rapport à nos valeurs et ce, d'autant plus que l'on peut considérer qu'il y a atteinte à son intégrité du fait de la sélection de son patrimoine génétique.

Invité à s'exprimer sur la question des bébés-médicaments, un membre du Comité de bioéthique belge n'a pas manqué d'attirer l'attention sur la responsabilité - subie, pas choisie - que l'on fait porter à cet enfant : si dans le cas où la manipulation réussit on peut s'attendre à une survalorisation de l'enfant donneur, que dire si, au contraire, elle échoue, ce qui n'est pas improbable.

Malgré toutes les réticences énoncées, qui relèvent de l'éthique indépendamment de la religion, la plupart d'entre nous pressentent que, confrontés à une épreuve comme celle de parents en détresse, nous aurions vraisemblablement tout tenté pour sauver l'enfant en difficulté. On peut imaginer que des banques de cellules souches de cordon ombilical bien étoffées augmenteraient la probabilité pour un malade d'y trouver des cellules compatibles avec ces propres marqueurs, permettant ainsi de soigner des leucémies et autres cancers hématologiques. À l'heure où des firmes privées s'adressent aux médecins et aux futurs parents pour proposer de conserver à prix d'or les lignées de cellules souches de cordon de leur enfant en vue d'un hypothétique usage ultérieur, des médecins travaillent pour que des banques soient constituées pour le bénéfice de la collectivité et soient gérées par des services publics.

Clonage thérapeutique

Par ailleurs, des espoirs immenses reposent sur le recours au clonage thérapeutique. Dans ce cas, le but n'est pas de reproduire un individu, mais de reproduire quelques cellules de l'individu. Pour ce faire, on prendrait un ovule, on remplacerait son noyau par le noyau d'une cellule d'un malade afin d'obtenir un embryon qui serait autorisé à se développer jusqu'au stade de quelques cellules. Ces cellules souches de très grande plasticité seraient utilisées dans le cadre de thérapies régénératives pour des maladies comme le diabète, les accidents neurologiques ou cardiaques, la maladie de Parkinson, etc.

Nous n'en sommes pas encore là. Faute de consensus sur le plan éthique, le cadre législatif manque aujourd'hui pour que l'on puisse s'atteler au développement de ces techniques. Les enjeux sont de taille et le débat fait rage chez les spécialistes, mais tarde à s'élargir au grand public (*).

Marie José Gama
ActuSciences

Fin avril, la plus haute juridiction britannique autorisait un couple à concevoir un enfant pour sauver son frère gravement malade. Quelques jours après, le Sénat espagnol prenait une décision de principe allant dans le même sens. Dans un passé récent, aux États-Unis, un enfant a été conçu pour guérir sa soeur. Et à l'heure de boucler cet article, nous apprenions qu'en Belgique, deux enfants sont nés pour des raisons similaires, grâce à l'AZ VUB. Dans le langage courant, on a commencé à appeler ces enfants les " bébés-médicaments ".



Pour en savoir plus : www.ulb.ac.be/inforsciences/actusciences

(*) Je ne saurais trop recommander la lecture des excellents travaux du Comité de bioéthique belge qui, dans un langage certes un peu rébarbatif mais néanmoins accessible, informe avec rigueur et expose les potentialités et les limites de ces techniques.

 
  ESPRIT LIBRE > JUIN 2005 [ n°32 ]
Université libre de Bruxelles