Boris Cyrulnik, le pape de la résilience
" Habemus Boris Cyrulnik ", clame Michel Meyer devant le Janson plein à craquer qui vient communier avec le pape de la résilience...
Un pape modeste, à la voix chantante du midi, et dont la personnalité chaleureuse enveloppe un auditoire déjà conquis... 24
heures après l'élection de Benoît XVI !
La psychologie use volontiers de métaphores. Ainsi, les sous-mariniers de Toulon, explique Boris Cyrulnik, utilisent le terme
de " résilient " pour désigner un sous-marin qui résiste à son milieu. Ce terme a donc été récupéré pour exprimer la capacité
à se reconstruire après une blessure psychique.
Dans le traumatisme, le monde intime est déchiré. On côtoie la mort ; on n'éprouve aucune souffrance ; on est en agonie psychique
; on est hébété. Dans l'épreuve en revanche, on reste soi-même ; on souffre bien sûr : on a du chagrin, on est déprimé ou
en colère, mais on vit.
Le traumatisé ne parvient pas à inscrire la déchirure qu'il a subie dans son histoire. Elle vit en lui en permanence et lui
revient sans cesse sous forme de flashes ou de cauchemars. Si la personne reste dans cet état, elle ne pourra plus faire de
projet, établir de relation, tant la vie va perdre son goût.
Penser avec sa main
C'est là qu'intervient l'écriture. Quand on écrit, on le fait vers un lecteur invisible, vers un ami idéal. Cela n'a rien
à voir avec la parole, car la personne à laquelle on s'adresse ne réagit pas de manière inadéquate, que cela soit de façon
verbale (questions absurdes, incrédulité) ou non verbale (haussement de sourcils, signes de surprise). On cherche dans sa
mémoire des images et des mots, et en écrivant, on pense avec sa main. On donne une forme verbale écrite très différente d'une
forme verbale parlée et on renvoie des images en leur donnant une cohérence qui permet une reconstruction. Le récit permet
de se réorganiser : on reprend possession de son monde intime en le rendant moins confus. On crée ainsi une identité narrative
qui est un facteur de résilience.
Dante qui parlait des " fragments épars de son âme " considérait que l'écriture lui permettait de se reconstruire. " Dante
était donc d'accord avec moi ", constate malicieusement Cyrulnik.
Un récit chimérique
Pourquoi la parole vers une personne formée à l'écoute ne pourrait-elle pas être aussi efficace que l'écriture ? Tout simplement,
souligne le neuropsychiatre, parce que dans un premier temps, l'hébétude et l'émotion empêchent la personne traumatisée de
s'exprimer. Par le récit, la personne traumatisée métamorphose ce qui lui est arrivé en en faisant une chimère, une représentation
théâtrale. Elle ne fait pas revivre ce qui lui est arrivé car ce serait faire revivre la déchirure, le réel obscène.
Les autobiographies qui font revivre le passé sont des " anti-résiliences " pour Boris Cyrulnik, se réfèrant à Georges Perec
qui, en faisant rejaillir son passé par l'écriture, s'est déchiré et est entré dans une profonde dépression. A contrario,
Jorge Semprun, traumatisé par l'arrestation d'un groupe de résistants par la faute de son taxi suivi par la Gestapo, remanie
le réel dans son livre en faisant arrêter son taxi 500 mètres plus loin...
Boris Cyrulnik distingue également le journal intime. Quand Anna Novak, déportée à Auschwitz, écrit sa journée quotidienne
sur des bouts de papier récupérés par-ci par-là, elle ne fait pas oeuvre, selon lui. Elle fait acte. Cela n'a pas une fonction
de résilience car lorsqu'elle les relit des années plus tard, cela ne lui dit plus rien ; ce n'est pas ce qu'elle a en mémoire.
Pour qu'il y ait résilience, il faut redonner forme à un monde confus, par le travail de la tête et de la main... Ce qui manifestement
parle à de nombreuses personnes. Celles-là même qui ont tenu à témoigner ce soir-là du fait qu'elles s'étaient reconnues,
voire comprises, à la lecture des livres de Boris Cyrulnik.
Isabelle Pollet
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Le 10 avril dernier, Boris Cyrulnik occupait la Chaire (ou plutôt le podium vu la foule installée y compris sur les gradins
de l'amphithéâtre Paul-Émile Janson) de Cultures d'Europe pour une conférence : " Écritures et résilience ". La résilience,
c'est cette capacité à pouvoir surmonter les traumatismes psychiques et les blessures émotionnelles les plus graves : maladie,
deuil, inceste, viol, torture, attentat, déportation, guerre... Parmi les facteurs qui permettent la résilience, Cyrulnik
met la créativité à l'avant-plan. Dont l'écriture, bien évidemment.
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Parcours
Boris Cyrulnik est l'un des pionniers de l'éthologie française. Il est aussi neurologue, psychiatre, psychanalyste et auteur
de nombreux ouvrages à succès. L'éthologie est l'étude scientifique du comportement des animaux dans leur milieu naturel.
Boris Cyrulnik a combiné les enseignements et la méthodologie de l'éthologie, de la linguistique, de la psychiatrie, de la
neurologie et de la biologie pour avoir l'approche la plus globale et la plus juste de la place de l'homme dans le vivant.
Cette attitude interdisciplinaire empêche le dualisme et le réductionnisme qui ne correspondent pas à la clinique de l'Homme
total.
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