Journalisme
TIC, amies ou ennemies de la déontologie ?
Esprit libre : Réunissant des professionnels des médias du Canada, de Belgique, du Burkina Faso et du Vietnam à l'occasion des 60 ans de
la section, le colloque sur les nouveaux défis de la déontologie journalistique a révélé que cette dernière était déjà mise
à mal avant les TIC. Qu'est-ce qui a changé avec leur arrivée ?
François Heinderyckx : Globalement, on peut dire que les TIC ont eu un effet amplificateur sur des dérives qui existaient, comme le manque de recul
ou la publication d'informations non vérifiées. Elles ont aussi engendré de nouveaux problèmes mais leur développement n'a
pas eu qu'un impact négatif, elles ont aussi apporté de réels progrès (au moins en germe), notamment en matière de richesse
de l'écriture ou d'accès aux sources.
Esprit libre : Le manque de moyens financiers justifie-il ces dérives ?
François Heinderyckx : Le manque de moyens financiers ne justifie pas ces dérives mais il les explique en grande partie. Si l'on prend l'exemple
de certains pays d'Afrique, la moitié du salaire d'un journaliste provient de l'argent qu'il reçoit d'une entreprise ou d'un
ministre lorsqu'il couvre " leur " actualité. Il ne s'agit pas à proprement parler de corruption, mais comment, dans de telles
conditions, envisager les règles les plus élémentaires de déontologie journalistique ? La précarité des journalistes et des
rédactions se généralise à des degrés divers et entraîne dans son sillage des pratiques qui éloignent le journalisme moderne
du modèle de qualité qu'encadre la déontologie.
Esprit libre : Selon vous, quelle est la meilleure façon de concilier des règles théoriques qui datent et la pratique professionnelle qui
évolue ?
François Heinderyckx : Je suis partisan d'une réduction de la distance entre des règles qui sont perçues comme théoriques et un peu moralisatrices,
et la pratique : il faut trouver des moyens d'exprimer et d'intégrer ces règles à la pratique, et ce, dès le début. Elles
ne doivent pas être perçues par les journalistes comme une contrainte qui nécessite des sacrifices mais plutôt comme un guide
et une aide. On arrivera à de bien meilleurs résultats si l'on arrive à les formuler positivement.
Esprit libre : Les TIC ont également modifié la manière de former les futurs journalistes. Quels ont été les plus grands changements en 60
ans ? L'enseignement de la déontologie a-t-il lui aussi évolué ?
François Heinderyckx : Nous avons progressivement été amenés à former les étudiants en journalisme à ces technologies ainsi qu'à différents métiers
liés à la chaîne de production d'information et qui sont de plus en plus souvent confiés aux journalistes eux-mêmes. Aujourd'hui,
le journaliste doit être capable d'effectuer une prise de son et un montage, de gérer sa documentation et de mettre en page.
Ce bagage minimum est impératif pour qu'il soit opérationnel sur le marché de l'emploi. L'enseignement de la déontologie,
quant à lui, n'a pas changé en substance. Par contre, à l'ULB, le cours de déontologie des médias est apparu très récemment,
alors qu'auparavant plusieurs cours comportaient une perspective déontologique. Cela fait comprendre aux étudiants l'importance
de cette matière. Il y a une dimension symbolique et pédagogique à l'identifier comme telle. La déontologie reste néanmoins
présente dans bon nombre d'enseignements de la section.
Esprit libre : Comment se positionne l'École de journalisme de l'ULB face à ces défis ?
François Heinderyckx : En raison de l'évolution constante des pratiques professionnelles et des sujets que les journalistes sont amenés à traiter,
nous nous trouvons face à un équilibre entre théorie et pratique à redéfinir en permanence. Voilà pourquoi nous avons un des
programmes les plus volatiles de l'Université. Nous tenons à maintenir une formation humaniste forte avec des cours généraux
comme l'économie, l'histoire, la philosophie, etc., tout en évitant de sombrer dans la caricature universitaire. D'où l'intérêt
d'un important volet pratique.
Esprit libre : Le colloque a montré à quel point les défis à relever sont nombreux. Avez-vous dégagé certaines pistes de réflexion au cours
de la journée d'étude qui a suivi ?
François Heinderyckx : Nous avons identifié des initiatives que nous pourrons prendre collectivement, notamment pour comprendre la façon dont les
journalistes assimilent et appliquent la déontologie dans leur pratique quotidienne. Pas pour les juger mais bien afin de
comprendre comment ils la vivent. Un questionnaire pourrait être envoyé aux journalistes de différents pays. La comparaison
est toujours riche d'enseignements.
Amélie Dogot
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Pour François Heinderyckx, président de la filière INFOCOM de l'ULB, la relève des défis de la déontologie journalistique
passe tant par leur analyse - constats, comparaisons, détermination des causes et étude approfondie de l'application des
principes - que par une mise en exergue de la formation précédant la pratique du métier de journaliste.
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