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esprit libre

[coup de projecteur]
 
 
 
Impact des TIC sur les médias africains

Le professeur Serge Théophile Balima, fondateur du Département de communication et journalisme à l'Université de Ouagadougou (Burkina Faso), évoque une situation de " faible appropriation de l'éthique et de la déontologie dans les pratiques du journalisme africain ". (1)

Si les difficultés auxquelles la presse africaine se trouve confrontée sont nombreuses (incompréhension avec les régimes politiques, précarité économique - porte ouverte aux clientélisme, manipulations politiciennes et corruptions en tout genre -, faiblesse des infrastructures de production et de diffusion, étroitesse du marché de l'information, modes de gestion artisanaux des entreprises de presse), l'audience croissante des médias privés rend nécessaire une intégration de principes professionnels, garantissant la qualité de l'information produite et évitant que les médias ne se mobilisent au service de causes haineuses ou destructrices.

Conscience collective ?

Or, à ce jour, les codes de déontologie, s'ils existent, " sont moins des références pour les journalistes africains que les jugements des acteurs sociaux et des gouvernants ". La déontologie est considérée comme une affaire personnelle, quasiment placée sous le sceau du secret. Elle fait d'autant moins l'objet d'une reconnaissance collective que les associations professionnelles sont souvent faibles, divisées et que les praticiens du journalisme viennent à la profession pour des raisons aussi diverses que l'instrumentalisation par un groupe de pression, la recherche d'une survie alimentaire ou la volonté de promouvoir certaines convictions idéologiques.

Dans un tel contexte, l'irruption des TIC qui se répandent lentement sur le continent, ne suscite guère de réflexion particulière au sein des milieux journalistiques. " Ni les pouvoirs publics, ni les associations professionnelles ne font montre d'initiatives proactives sur cette problématique ". Internet permet pourtant aux rédactions qui peuvent y accéder de réaliser des exploits techniques et journalistiques et soulève les mêmes questions qu'ailleurs quant à la fiabilité des contenus et à la propagation inconsidérée du " copier-coller ".

Contributions au débat

Dans les pays de l'Afrique des Grands Lacs, qui sortent de dix années de guerres meurtrières, les TIC ont permis de désenclaver des médias qui éprouvaient des difficultés particulièrement criantes à communiquer. Internet et la téléphonie mobile ont bouleversé la pratique professionnelle des médias congolais, rwandais et burundais et même leur approche des conflits touchant leur pays(2). En permettant l'accès à des informations diversifiées et contradictoires sur la situation prévalant sur leur propre territoire (dans un contexte où, auparavant, la voix des grandes stations de radio internationales, diffusaient les seuls regards extérieurs accessibles), Internet a enrichi les contenus médiatiques et nourri la réflexion des journalistes. La téléphonie mobile a, pour sa part, permis le développement d'émissions participatives et facilité les contacts des journalistes avec les zones troublées. La présence de nombreux médias africains sur le net a conduit la diaspora à se reconnecter avec l'actualité de son pays d'origine et a donné de la visibilité internationale aux médias locaux. " Les voix du Sud peuvent à présent exprimer et faire entendre au monde entier leur point de vue sur ce qui se passe au Sud ".

Mécanismes d'alerte

Dans ces régions troublées et instables, les technologies de l'information ont également permis d'instaurer des mécanismes d'alerte efficaces et rapides attirant l'attention sur les cas de journalistes malmenés, emprisonnés, voire assassinés. Enfin, il ne faut pas négliger le potentiel qu'offre le Net en matière de formation à distance, dans des pays où les cursus de formation au journalisme sont souvent faibles ou inexistants.

Dès lors, avant même que ne s'impose une réflexion sur l'utilisation " éthique " des TIC, les questions centrales demeurent, en Afrique, celles de l'accessibilité et du coût. La question déontologique émergera plus tard, liée à celle de l'identité journalistique, encore en voie de constitution. Les guerres, les troubles, les échecs de la démocratisation dans de nombreux pays du continent africain ont en effet contribué à diviser la profession et à promouvoir des médias au service de la propagande des politiques : la déontologie ne pourra s'imposer que lorsque la profession, évoluant dans un contexte de paix et de croissance économique, se sera réconciliée avec elle-même.

Marie-Soleil  Frère
Chercheur qualifié FNRS, Professeur au Département des sciences de l'information et de la communication, ULB

Dans la plupart des pays d'Afrique subsaharienne francophone, le pluralisme médiatique n'a vu le jour que depuis une quinzaine d'année. La libéralisation de la presse écrite suivie par celle du secteur audiovisuel, a suscité un bouleversement profond dans un paysage marqué par le monopole étatique. L'implantation récente des TIC intervient donc dans un environnement en pleine mutation, caractérisé par une absence de repères historiques et de tradition journalistique véritablement plurielle.



(1) Serge Théophile Balima, " Problématique d'une éthique déontologique de l'intégration des TIC dans les pratiques journalistiques en Afrique de l'Ouest ", communication proposée dans le cadre du Colloque du 3 mai 2006.

(2) Marie-Soleil Frère, " L'utilisation des TIC en situation de conflit : les journalistes dans l'Afrique des Grands Lacs ", communication proposée dans le cadre du Colloque du 3 mai 2006.

 
  ESPRIT LIBRE > JUIN 2006 [ n°41 ]
Université libre de Bruxelles