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[à l'université]
 
 
 
Maladie du sommeil Demain, un nouveau médicament ?

Le trypanosome est aujourd'hui bien connu à l'Institut de biologie et de médecine moléculaires. Depuis plus de 20 ans, le professeur Etienne Pays et ses collaborateurs traquent ce parasite responsable de la maladie du sommeil et de sa variante pour le bétail, le nagana, deux maladies qui affligent le continent africain. En particulier, les chercheurs tentent de comprendre comment le trypanosome est capable de changer de " manteau " et ainsi de déjouer nos défenses immunitaires. En 2003, l'équipe ulbiste découvrait qu'une molécule produite par nos cellules, nous protégeait contre le trypanosome : l'apoL-1. L'été dernier, l'équipe de l'IBMM décryptait le mécanisme par lequel l'apoL-1 était capable de tuer le trypanosome.

Seul " hic ", une sorte de trypanosome, le Trypanosoma brucei rhodesiense, réussit à neutraliser l'apoL-1, et donc la maladie mortelle peut se développer. Les chercheurs de l'IBMM ont toutefois découvert qu'une variante de l'apoL-1 n'est pas neutralisée par Trypanosoma brucei rhodesiense : cette variante tronquée peut aider à éliminer le parasite lorsqu'elle est injectée en grande concentration. Le défi pour les chercheurs était donc d'envoyer efficacement cette variante tronquée de l'apoL-1 là où elle est nécessaire, c'est-à-dire à la surface du parasite.

Avec la VUB

À une cinquantaine de kilomètres de là, au sein de la VUB, d'autres chercheurs se passionnent également pour le trypanosome. Ici, ce sont des immunologistes. Ce qui les intéresse en priorité, c'est de comprendre la manière dont l'organisme réagit au parasite et comment la pathologie se développe en réponse à l'infection.

Dirigée par Patrick De Baetselier, l'équipe de la VUB a découvert il y a quelques années que les chameaux fabriquent des anticorps de plus petite taille que les nôtres. Forts de leurs savoirs sur ces " mini-anticorps ", les chercheurs sont aujourd'hui aptes à fabriquer des " nanobodies " (nanocorps) : des constructions moléculaires très petites capables, comme les anticorps " classiques ", d'aller repérer une cible très précise. Concernant le parasite, cette équipe avait généré un nanocorps pouvant reconnaître une structure moléculaire invariable sous le manteau changeant de l'organisme.

Pour résumer, nous avions il y a quelques mois : d'un côté, à l'ULB, une molécule tronquée de l'apoL-1, capable de tuer Trypanosoma brucei rhodesiense ; de l'autre, à la VUB, un anticorps modifié susceptible de reconnaître la surface du parasite en-dessous de sa couche de défense variable. Les deux savoirs se sont rencontrés et complétés pour donner, au final, une collaboration soutenue par un financement fédéral (PAI, Pôle d'attraction interuniversitaire) et le VIB (Institut interuniversitaire flamand de biotechnologie) qui a permis de coupler le nanocorps à l'apoL-1 tronquée.

Vers un médicament

Ensemble, les équipes ULB-VUB ont donc réussi à mettre au point un " missile à tête chercheuse " qui va très précisément apporter l'apoL-1 modifiée aux trypanosomes et tuer ainsi même tous les types de ce parasite. Des tests effectués sur des souris montrent que ce " missile à tête chercheuse " est efficace : la souris infectée par le trypanosome survit après le traitement ; le parasite est éliminé du sang et tous les effets associés à la maladie disparaissent.

Ces résultats, publiés en avril dernier dans le journal Nature Medicine, sont enthousiasmants : l'apoL-1 tronquée étant à l'origine une substance naturelle chez l'homme, il y a fort à parier que celui-ci réagira encore mieux que la souris au " missile à tête chercheuse ". Encore faut-il le démontrer et donc lancer une succession d'essais en vue d'une application, à terme, chez l'homme. Ce qui implique un investissement financier important et un partenariat avec une entreprise (pas encore identifiée) qui serait intéressée par ce médicament expérimental totalement innovateur. Débouchera, débouchera pas sur un nouveau médicament ? Nul ne le sait à l'heure actuelle.

À l'IBMM, les chercheurs poursuivent leur questionnement scientifique. Ils s'interrogent en particulier sur la fonction de l'apoL-1 présente dans notre sang : certes, elle permet de combattre le trypanosome mais elle ne peut être là, présente uniquement pour cela. Alors, à quoi sert cette protéine ? Etienne Pays nourrit une intuition depuis quelques mois : " L'apoL-1 intervient, je pense, dans certains processus de mort cellulaire programmée. Nous faisons l'hypothèse qu'elle joue un rôle important dans différents processus pathologiques comme l'athérosclérose, certains cancers, la sénescence et peut-être dans des perturbations du contrôle de la réponse immunitaire ". Fort de cette intuition, le chercheur poursuit sa quête qui ouvrira peut-être de nouvelles perspectives thérapeutiques...

Nathalie Gobbe


Chaque année, plus de 300.000 personnes meurent de la maladie du sommeil en Afrique (Trypanosomiase). Issu d'une recherche ULB-VUB, un médicament expérimental a fait ses preuves chez la souris. Demain peut-être sur l'homme ?



 
  ESPRIT LIBRE > JUIN 2006 [ n°41 ]
Université libre de Bruxelles