Vincent Detours
Dans l'oeil du chercheur
Esprit libre : Votre parcours commence par la musique... Vous étiez ado pendant les années 80 - l'époque des synthés - et vous vouliez concevoir
des instruments électroniques...
Vincent Detours : Effectivement, c'est ce qui m'a d'abord poussé vers des études en mathématiques, puis en informatique. Mais après avoir construit
une première machine à sons, j'ai vite abandonné parce que la partie intéressante de la conception était trop limitée. J'ai
ensuite suivi des cours d'intelligence artificielle et de logique, ce qui m'a passionné. J'ai poursuivi par un DEA en sciences
cognitives à ParisVI-École polytechnique et à l'École des hautes études en sciences sociales. Cette formation là, pluridisciplinaire,
m'a ouvert d'énormes perspectives. Lors d'un stage dans un labo d'intelligence artificielle en France (au Cemagref), j'ai
travaillé sur des simulations de modèles en immunologie, avec Francisco Varela qui est ensuite devenu mon directeur de thèse.
J'ai aussi collaboré avec Hugues Bersini (ULB) qui séjournait alors dans ce laboratoire et avec qui je ferai une partie de
ma thèse, au labo Iridia de l'ULB, où j'ai ensuite fait un service national en 1993... en tant que " coopérant français "
!
Esprit libre : Ensuite, c'est le départ pour les USA...
Vincent Detours : Oui, au Los Alamos National Laboratory et au Santa Fe Institute où j'ai poursuivi des travaux sur la modélisation en immunologie.
Mais j'ai choisi de me tourner vers des questions plus classiques, en travaillant cette fois sur les cellules T, celles qui
sont chargées d'éliminer les cellules infectées par un virus. Cette recherche a en point de mire la problématique du rejet
des greffes. Fin 96, je suis revenu à Paris où j'ai défendu ma thèse, puis retour aux USA au Los Alamos National Laboratory
et également au Santa Fe Institute.
Esprit libre : À Los Alamos, vous travaillez sur le VIH. C'est alors que votre intérêt pour le film documentaire se manifeste...
Vincent Detours : Je suis retombé sur un ami d'enfance, Dominique Henry, qui sortait de l'INSAS et qui cherchait des thématiques de films. On
a décidé de travailler ensemble. Or, à l'époque on parlait beaucoup de trithérapie en termes dithyrambiques. On titrait dans
le New York Times " La fin du SIDA ? ", ce genre de choses... On a donc choisit de traiter de ce sujet mais en mettant en
évidence l'aspect économique. Et on a retracé l'histoire du médicament AZT - le premier médicament mis en vente contre le
VIH.
Esprit libre : Ce film - I am Alive Today - démonte en quelque sorte les enjeux derrière la commercialisation des médicaments. Il ressemble
à une saga !
Vincent Detours : Nous avons voulu donner la parole à des spécialistes, mais aussi à des malades et à des militants, utiliser des images d'archives,
etc. Au bout du compte, il permet d'aborder de façon transversale pas mal de problèmes liés au coût des médicaments. En parallèle,
il retrace le rôle du mouvement Act-Up dans le monde et son impact sur l'accès aux médicaments anti-SIDA.
Esprit libre : Suivront d'autres documentaires : M Scié ou la vraie vie d'une personne âgée de 80 ans, Dr. Nagesh, un film plusieurs fois
primé, qui conte le quotidien d'un médecin indien offrant une consultation gratuite à des malades du SIDA à Bombay...
Vincent Detours : J'ai un intérêt évident pour la santé mais je suis sensible aux parcours humains, à l'approche émotionnelle des patients.
Dr. Nagesh était en quelque sorte l'épilogue du documentaire sur l'AZT. Cet homme accompagne ses patients dans leur combat
contre la maladie mais il est surtout confronté aux problèmes d'argent, aux aspects liés aux mentalités, etc. Ce film et celui
sur l'AZT sont passés sur Arte, sur TV5 et d'autres télévisions, et continuent d'être bien diffusés.
Esprit libre : Vous êtes revenu à l'ULB en 2002 à l'IRIBHM (ULB) où vous travaillez sur les puces ADN...
Vincent Detours : On essaie de comprendre la génétique et la biologie moléculaire du cancer en mesurant l'activation des gènes dans les tumeurs.
Esprit libre : Après un docu radio sur le parcours d'un opposant péruvien emprisonné sous Fujimori, votre dernier film offre un regard décalé
sur la vie du photographe Gaël Turine, qui parcourt le monde, essentiellement le Tiers-monde. Quel est votre prochain sujet
?
Vincent Detours : Nous sommes retournés en Inde en mai 2006 pour un documentaire sonore sur la prostitution liée au phénomène de la migration
de milliers de campagnards. Ils viennent à Bombay pour trouver du travail. Le prochain film - Main d'oeuvre - s'arrêtera sur
les conditions de vie et de survie de ces personnes et le rôle des travailleurs sociaux. Il sera présenté en septembre. Pour
la suite, on pense à quelques sujets santé et droit de l'homme, encore.
Esprit libre : Comment faites-vous pour allier le travail de recherche et la réalisation de vos films ?
Vincent Detours : Avec Dominique, nous bossons en nous répartissant le travail : trouver les financements, organiser les tournages, réaliser
les montages, trouver des diffuseurs... Faire des films est devenu pour moi une passion dévorante. J'y passe tout mon temps
libre. Mais j'aurais bien du mal à laisser tomber l'un pour l'autre : je trouve autant d'excitation à mener les deux !
Alain Dauchot
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Né en France en 1968, Vincent Detours possède un parcours pour le moins non linéaire. Actuellement chercheur à l'IRIBHM, il
a été nommé premier assistant à l'ULB en Faculté de Médecine l'an dernier. Parallèlement à ses recherches, il poursuit une
autre vie en tant que réalisateur de documentaires. Une seconde passion qui n'est pourtant pas éloignée de ses préoccupations
scientifiques...
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