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L'ULB se penche sur la Jonction Nord-Midi

Ce cinquantième anniversaire offre une excellente opportunité pour rouvrir le dossier de ce petit tronçon reliant les gares bruxelloises du Nord et du Midi et proposer une approche nourrie par les dernières recherches de géographes, d'historiens et d'historiens de l'art. Le nouveau Centre interdisciplinaire de Recherche sur l'Histoire de Bruxelles (CIRHIBRU) de l'ULB a choisi de lui consacrer un colloque interdisciplinaire qui se tiendra dans un lieu symbolique : la Bibliothèque royale, érigée sur le parcours même de la Jonction.

Le 5 octobre 1952, des milliers de Bruxellois convergèrent vers le Centre de la capitale pour assister au passage des premiers convois empruntant la Jonction Nord-Midi. C'était l'aboutissement d'un chantier qui avait perturbé leur vie et défiguré leur ville pendant près... d'un demi-siècle !

C'est en effet en 1903 qu'après de multiples études et projets, l'Etat et la ville s'entendent pour répondre à l'engorgement croissant des gares du Nord et du Midi, gares terminus qui obligeaient les voyageurs à utiliser un autre moyen de transport pour changer de station tandis que les convois devaient rebrousser chemin. Outre la construction de la Jonction qui implique le relèvement des gares extrêmes (pour éviter les passages à niveau) on planifie la création d'une gare centrale qui renforcera l'attrait du centre-ville et permettra d'assainir (c'est-à-dire de détruire !) le vieux quartier de la Putterie réputé insalubre.

Le tracé retenu passe à flanc de coteau (entre la basse et la haute ville) là où l'on pense trouver un sol relativement stable sans détruire de monuments historiques. Il traverse par contre de vieux quartiers bruxellois chargés d'histoire et densément peuplés mais, comme l'a bien montré Chloé Deligne, une jeune chercheuse de l'ULB, les préoccupations urbanistiques sont totalement absentes du débat.

De longues procédures d'expropriation et divers problèmes techniques retardent considérablement les travaux de sorte qu'en 1914, seule une petite partie du tracé est réalisée. Plus grave, la difficile période de reconstruction qui suit la guerre, modifie considérablement les priorités des autorités locales et nationales. L'achèvement rapide de la Jonction apparaît soudain comme une dépense de prestige au moment où les deniers de l'Etat sont comptés.

Des avis plus nuancés

Paradoxalement, c'est la crise des années 30 qui remet l'achèvement de la Jonction à l'ordre du jour. La nécessité d'entreprendre de grands chantiers porteurs d'avenir pour remettre les chômeurs au travail, l'engorgement des vieilles gares bruxelloises qui nécessite d'urgent travaux d'adaptation, la volonté d'électrifier le réseau et le fait que les terrains expropriés n'ont pas encore été réutilisés, facilitent la reprise des travaux. Un Office national pour l'achèvement de la Jonction Nord-Midi (ONJ) se voit confier l'ensemble du dossier en 1935. Il lui faudra 17 ans pour atteindre son objectif.

L'ONJ réalise un impressionnant travail technique mais porte une lourde responsabilité dans la physionomie actuelle de la capitale. D'abord parce qu'il décide de travailler à ciel ouvert ce qui augmente les destructions (au total plus d'un millier d'immeubles disparaissent du paysage bruxellois). Ensuite parce que, peu sensible aux préoccupations urbanistiques, il s'intéresse surtout à l'aménagement en surface de larges voies pour la circulation automobile. La Jonction sera donc surmontée d'un grand boulevard bordé d'immeubles érigés sans aucun plan d'ensemble, sans lien avec les quartiers voisins et voués presque exclusivement au secteur tertiaire.

Au moment de son inauguration, la Jonction et le boulevard qui la surmonte ont souvent été présentés comme de véritables symboles de la modernité et de la mobilité urbaines. Cinquante ans plus tard, les avis sont plus nuancés. D'aucuns s'interrogent sur l'utilité de ces gigantesques travaux, d'autres déplorent une saignée urbanistique qui sépare définitivement le haut de la ville de son centre historique. Le temps semble donc venu pour les chercheurs de tenter une analyse scientifique et rétrospective sur l'un des plus grand et des plus longs chantiers de l'histoire de la ville.

Serge Jaumain
Historien ULB

Prouesse technique ou formidable gâchis urbanistique ? Réalisation indispensable au trafic ferroviaire ou exemple parfait du grand chantier inutile ? Symbole de la modernité de la capitale ou de sa déstructuration anarchique ? 50 ans après son inauguration, les avis sur la Jonction Nord-Midi sont pour le moins contrastés !



Bruxelles et la jonction Nord-Midi. Histoire, architecture et mobilité urbaines Ce colloque se tient les 1et 2 octobre 2002 à la Bibliothèque Royale de Bruxelles. Il est organisé par le CIRHIBRU en collaboration avec le service des archives de la SNCB. Renseignements : 02 650 38 07 ou sjaumain@ulb.ac.be

 
  ESPRIT LIBRE > SEPTEMBRE 2002 [ n°6 ]
Université libre de Bruxelles