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Grands magasins : la fin d'une époque

Au niveau du commerce de détail, la Région de Bruxelles-Capitale peut s'enorgueillir d'un patrimoine de qualité comme les devantures anciennes de nombreux petits magasins qui bordent certaines de nos rues. Par contre, au cours des dernières décennies, elle a vu disparaître une partie importante de son patrimoine commercial : les grands magasins. Excepté l'excellente restauration de l'Old England (qui abrite le Musée des instruments de musique) ou la sauvegarde de la façade de l'ancien Bon Marché, la plupart des grands magasins qui, depuis le tournant des XIX e et XX e siècles, animaient le coeur de la cité, se sont effacés.

Faire du " shopping "

Les quatre plus importants (Au Bon Marché, Les Grands Magasins de la Bourse, À l'Innovation - qui, après la Première Guerre mondiale, absorba son puissant voisin Léonhard Tietz - et le Grand Bazar du Boulevard Anspach, futures Galeries Anspach) avaient une série de caractéristiques communes. Concentrés sur une petite portion du Nord-Est du territoire bruxellois, ils étaient idéalement placés sur le nouvel axe de circulation Nord-Sud (renforcé par le voûtement de la Senne) entre la Bourse et la Gare du Nord, dans un quartier voué aux affaires et au spectacle. La proximité de la Bourse et du Théâtre royal de la Monnaie renforce en effet l'association du grand magasin au monde économique moderne et surtout aux activités de divertissement. Le " shopping " devait apparaître comme un moment de détente, de rencontre, de distraction voire de découverte.

Profitant en plus d'une excellente desserte en matière de transports en commun, les quatre enseignes ont largement contribué à la spécialisation commerciale de ce quartier. Attirant une vaste clientèle qui dépassait largement les frontières urbaines, elles incitèrent nombre de détaillants à s'implanter à proximité immédiate car, pour beaucoup d'habitants des 19 communes, " aller en ville " signifia bientôt se rendre dans le petit périmètre délimité par les quatre magasins.

Impressionner le badaud

Comme leurs homologues étrangers, les grands magasins bruxellois cherchèrent à marquer l'esprit des contemporains en misant tout à la fois sur la publicité, le choix et la présentation des articles, la mise à la disposition de la clientèle d'une multitude de services (salles de lectures, remise des marchandises à domicile et reprise de celle qui aurait cessé de plaire), le recours aux innovations techniques les plus modernes (ascenseurs, caisses enregistreuses...), mais aussi sur une architecture puissante et recherchée, fruit du travail des plus prestigieux architectes. Il s'agissait de ce point de vue d'imposer leur marque dans le ciel de la capitale en construisant des immeubles auxquels l'oeil des badauds ne pouvait échapper.

Le déclin

Pour les quatre grands magasins, la fin des années 60 et le début des années 70 marquent pourtant le début d'un irréversible déclin. Aujourd'hui, un seul d'entre eux (l'Inno) est toujours en activité mais il fait partie d'un groupe international, s'est transformé en espace de marques et son avenir reste incertain.

Cette rapide transformation du paysage de la distribution à Bruxelles invite à la réflexion car le contraste est saisissant avec d'autres capitales européennes comme Paris où l'on peut encore admirer l'architecture de prestigieuses enseignes toujours en activité (Le Bon Marché, le Printemps, les Galeries Lafayette, la Samaritaine...).

La démocratisation de la voiture (nécessitant la construction d'immenses parkings difficiles à aménager au centre-ville), de terribles accidents (l'incendie de l'Innovation), des problèmes de gestion, une adaptation difficile aux nouveaux modes de vente et de consommation sont quelques-unes des explications avancées pour expliquer ce déclin. Elles méritent toutefois d'être vérifiées dans le cadre d'une étude scientifique globale du secteur. Une analyse de la grande distribution bruxelloise, attentive aux aspects historiques, permettra de mieux comprendre un secteur en mutation rapide et qui a toujours des implications fondamentales sur l'ensemble de l'économie régionale.

Serge Jaumain
Professeur d'Histoire à l'ULB

Cette année, les Journées du Patrimoine en Région bruxelloise célèbrent le commerce. La Région publie un petit ouvrage intitulé Commerce et Négoce auquel plusieurs membres du CIRHIBRU ont collaboré. Le sujet est bien entendu des plus intéressants : depuis le Moyen Âge, les activités et les succès des négociants bruxellois ont contribué pour une large part au formidable développement de la cité et à la structuration du paysage urbain.



À lire :
Commerce et négoce, ouvrage collectif édité par la Région de Bruxelles-Capitale, Mardaga, 2003

 
  ESPRIT LIBRE > SEPTEMBRE 2003 [ n°15 ]
Université libre de Bruxelles