Ilya Prigogine, le découvreur et l'humaniste
Né le 25 janvier 1917 à Moscou, il émigra très tôt en Allemagne, puis en Belgique, pays qui devint sa véritable patrie. Il
fit ses études à l'ULB, et obtint une licence en Sciences chimiques et une licence en Sciences physiques en 1939, puis le
doctorat en Sciences chimiques en 1941. En 1945, il soutint l'épreuve d'agrégation à l'enseignement supérieur avec une thèse
qui est encore de pleine actualité.
Son Maître - qu'il ne manquait aucune occasion de citer affectueusement - fut Théophile De Donder, personnage remarquable
qui introduisit très tôt la physique moderne à l'ULB. Prolongeant et approfondissant ses travaux, Prigogine devint le pionnier
de la Thermodynamique des phénomènes irréversibles. C'était une révolution. Alors que la thermodynamique classique était la
science de l'équilibre et n'approchait l'idée du Temps qu'avec une grande peur, Prigogine attaquait le problème de front en
introduisant de manière quantitative le concept d'irréversibilité, qui allait être le fil conducteur de toute son oeuvre.
L'étape suivante fut la consolidation de ces notions macroscopiques par leur base moléculaire. Depuis les travaux fondamentaux
de Boltzmann à la fin du XIXe siècle sur la théorie cinétique des gaz, ce sujet était resté dans l'ombre pendant près d'un
siècle, et était même considéré comme un sujet " maudit ". Comment pourrait-on concilier l'irréversibilité observée à notre
échelle avec les lois du mouvement parfaitement réversibles des molécules ? Entouré d'un petit groupe de disciples enthousiastes,
Prigogine fit dans les années 60 une grande avancée dans ce domaine, créant une première forme de la mécanique statistique
de non-équilibre. À côté de la formulation générale de la théorie, des applications remarquables (gaz, solides, plasmas...)
furent les fruits de cette démarche.
Les " structures dissipatives "
Poussant toujours plus loin l'étude des systèmes très éloignés de l'équilibre, Prigogine et ses collaborateurs (de plus en
plus nombreux) découvrirent un phénomène extraordinaire. Lorsque l'écart à l'équilibre dépasse un certain seuil, il peut se
produire une " bifurcation ". Le système quitte sa trajectoire (qui le lie à l'équilibre, et dont le prolongement devient
instable) et saute sur une nouvelle branche, totalement différente de la première : on se trouve porté dans un autre monde.
En poussant le système encore plus loin, de nouvelles bifurcations se produisent. Très loin de l'équilibre initial, le système
peut devenir entièrement chaotique. Mais, ce qui est plus inattendu, il peut parfois retrouver un nouvel ordre, qui est stabilisé
par le flux dissipatif d'énergie qui maintient le système dans cet état. Ce nouvel état peut se manifester par l'apparition
de structures spatiales rappelant la structure cristalline: ce sont les " structures dissipatives ". En 1977, cette découverte
conduisit à l'attribution du Prix Nobel de Chimie.
Dans les dernières années, Prigogine reprit son intérêt dans l'étude du niveau microscopique. Les avancées de la théorie des
systèmes dynamiques dans le dernier quart du XXe siècle, et notamment la découverte de l'instabilité inhérente de beaucoup
de ces systèmes, devaient le conduire à une reformulation mathématiquement plus sophistiquée de la mécanique statistique.
Mais ses idées initiales restaient une base solide sur laquelle se construisait la nouvelle formulation.
Ce qui précède n'est qu'un résumé incomplet de l'oeuvre de Prigogine, qui fut amplement reconnue au niveau mondial. Il est
impossible de dresser ici la liste impressionnante des distinctions et des prix qui lui furent attribués. Il suffit de constater
qu'il porta la science belge, et en particulier bruxelloise, au premier rang de la science mondiale.
Je ne voudrais pas terminer ce bref aperçu sans parler de l'extraordinaire professeur que fut Ilya Prigogine. Son cours fascinait
les étudiants. Délaissant les détails fastidieux, il ouvrait de vastes perspectives grâce à ses extraordinaires parenthèses
sur l'art, la musique ou la philosophie. Il fut un humaniste au sens le plus large de ce terme. Son enseignement fit de nombreux
disciples, qui portèrent la pensée de Prigogine aux quatre coins du monde. Ce fut un rare privilège pour notre Université
de compter Ilya Prigogine parmi ses membres.
Il nous manquera cruellement...
Radu Balescu Professeur de l'Université (ULB)
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Le 28 mai 2003 notre Université a vu s'éteindre une de ses figures les plus glorieuses en la personne d'Ilya Prigogine. Pour
tous les membres de notre Université, et principalement pour ceux qui l'ont connu personnellement ou l'ont approché ce fut
un moment particulièrement triste.
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