Quelles valeurs pour le XXIe siècle ?
11 septembre : le monde occidental se trouve plongé dans l'horreur d'abord, la perplexité ensuite. La thèse de Samuel Huntington,
politologue américain, semble avoir pris le dessus : selon lui, nous entrons dans une époque où le monde s'organisera autour
de conflits de civilisation. Une thèse désagréable pour les intellectuels européens, nous explique Comte-Sponville, car il
allait falloir choisir son camps alors que, depuis des lustres, nous baignions dans l'idée que toutes les civilisations se
valent. Au nom de quoi, dès lors, choisir son camp ?
Toutes les civilisations ne se valent pas
Pour illustrer son propos, Comte-Sponville n'hésite pas, de manière un peu provocatrice, à reprendre le propos litigieux lancé
un jour par Berlusconi sur l'inégalité des civilisations. Et de démontrer en quoi celui-ci avait tord... tout en ayant pourtant
raison quelque part ! D'un point de vue théorique et objectif, selon les sciences humaines, toutes les civilisations se valent...
parce qu'elles ne valent rien, nous dit-il. Puisque les sciences n'énoncent pas de jugement de valeurs, la question de leur
valeur respective ne se pose pas. Par contre, d'un point de vue subjectif et pratique, on n'échappe pas au relativisme et
il nous faut l'assumer. Nous savons, poursuit le philosophe, qu'à toute époque, des civilisations supérieures ont existé -
qui mettrait en doute la supériorité de la civilisation grecque au Ve siècle avt J.-C. sur les civilisations gauloises ? -
pourquoi ne pourrait-il en être ainsi aujourd'hui ? Par ailleurs, si toutes les civilisations se valent, il nous faudrait
affirmer que celle qui défend l'égalité des êtres humains et leur dignité équivaudrait à celle qui les bafoue ?
Nouveau combat
Aujourd'hui, le monde se complexifie. Et il devient difficile de comparer des civilisations car la mondialisation est en marche
et les interactions vont bon train. Pour Sponville, une culture mondiale commence à faire son apparition et c'est un bien.
Les différences distinguent de moins en moins des pays, de plus en plus des individus. Cela vaut aussi pour les valeurs. Nous
serions donc face à un nouveau combat : un conflit entre la civilisation qui est en train de se répandre (laïque, démocratique,
humaniste) et ceux qui s'y opposent, quelque soit l'endroit où ils se trouvent. " Il existe des démocrates musulmans et des
fascistes judéo-chrétiens. Je me sens évidemment plus proche des premiers ", poursuit-il.
Valeurs
Le philosophe nous parlera ensuite de fidélité. Fidélité à des valeurs qui, depuis au moins 2500 ans, ont façonné toutes les
grandes civilisations du monde : la sincérité plutôt que le mensonge, la générosité plutôt que l'égoïsme, la compassion plutôt
que de la violence... " Est-ce pour faire moderne qu'il faut dire que ce n'est plus vrai aujourd'hui ? La vraie question,
pour nous, est la suivante : que reste-t-il de l'Occident chrétien quand il n'est plus chrétien ? ". Et de prêcher pour une
fidélité aux valeurs que nous avons reçues, tout en précisant que la fidélité à nos racines n'exclut pas, au contraire, notre
attachement aux Lumières et à la laïcité.
Limites
Nous sommes passés d'une morale transcendante ou religieuse à une morale immanente ou humaniste. Cela signifie-t-il que l'Homme
soit désormais notre Dieu ? Non bien entendu, l'humanisme n'est pas religion. Pas plus que la démocratie qui a aussi ses limites
théoriques, morales et institutionnelles. La loi ne dit pas le bien ou le mal mais ce qui est permis et défendu par la société.
Le marché, enfin, a aussi ses limites. Car il ne devrait valoir que pour les marchandises. S'il crée de la richesse, il n'a
jamais suffi à faire une civilisation. Conclusion : " nous avons besoin de l'État et de la politique pour tout ce qui n'est
pas à vendre ".
Le débat qui a suivi avec la salle fut riche... et animé. D'aucuns mettant en cause une vision de l'orateur qui faisait peu
de cas de la dimension socio-économique dans sa recherche de valeurs... Ce qu'il devait bien évidemment réfuter.
Alain Dauchot
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" Toutes les civilisations ne se valent pas ", " Il s'agit d'inventer une nouvelle fidélité aux anciennes valeurs ", " Le
nihilisme est le danger principal ", " L'école n'est pas une démocratie : il est urgent de redonner le pouvoir aux maîtres
"... Si André Comte-Sponville fit partie de cette génération d'intellectuels qui participèrent à " la pensée 68 ", son discours
actuel semble bien loin des barricades de Mai. Cultures d'Europe l'accueillait en mai dernier pour une conférence au cours
de laquelle il devait s'exprimer sur les civilisations et les valeurs du XXIe siècle.
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Comte-Sponville est né à Paris en 1952. Ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé de philosophie, docteur de troisième
cycle, il est Maître de conférences à la Sorbonne et Docteur honoris causa de l'Université de Mons-Hainaut. On le connaît
pour ses nombreux livres, dont le plus fameux reste le " Petit traité des grandes vertus ", traduit dans pas moins de 23 langues.
Comment vivre ? Comment être heureux ? La vie a-t-elle un sens ? Comment trouver la sagesse sans se soumettre aux religions
? Comte-Sponville cherche à reprendre, pour aujourd'hui, les questions qui s'avèrent être les plus éternelles. Il est parmi
ceux qui ont remis la quête de la sagesse au goût du jour et qui recherchent une spiritualité pour notre temps, une sagesse
pour les modernes.
Prochain invité
Dominique Wolton est directeur de recherches au CNRS et directeur de la revue Hermès. Ses travaux portent sur l'analyse des rapports entre
la communication, la société, la culture et la politique. Le dernier ouvrage qu'il a publié est intitulé " L'autre mondialisation
". Il y met en doute l'assertion selon laquelle le monde se serait mué, avec l'ouverture des frontières, la télévision, et
l'internet, en un gigantesque " village ".
Dominique Wolton sera le prochain invité de " Cultures d'Europe ", le 8 octobre prochain, à 20h à l'auditoire P.É. Janson,
av. F.D. Roosevelt 48, 1050 Bruxelles. Thème de son intervention : " Information et communication , enjeux politiques du XXIe
siècle ".
Infos : Service cérémonies 02 650 23 03
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