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Delphine Bauloye : face au traumatisme de l'enfant

Esprit Libre : Qu'est-ce qui vous a poussé à travailler dans le secteur de l'accompagnement des enfants lors de situations d'éloignement de leurs parents ou de deuil ?
Delphine Bauloye : Depuis que je suis petite, je me pose cette question : pourquoi les enfants peuvent être séparés de leur famille ? J'ai commencé des études de psychologie avec l'idée d'accompagner des enfants et des adolescents. C'est dû à la fois à un vécu personnel mais aussi à la rencontre avec ceux-ci. Ils m'ont fait me poser beaucoup de questions. Durant mes cinq années d'études à l'ULB, j'ai donc veillé à faire des stages bénévoles dans des associations qui s'occupaient des plus jeunes.

Esprit Libre : Ce type d'accompagnement n'existait pas en Belgique ?
Delphine Bauloye : Il n'y avait absolument rien en région francophone. J'ai été voir en France, en Suisse, au Québec, où des projets sont menés dans ce sens. Le mien a coulé de source.

Esprit Libre : En 1999, vous avez reçu le premier Prix de la Bourse de la vocation. Que vous a-t-il permis de faire ?
Delphine Bauloye : J'ai pu démarrer un premier groupe à Bruxelles et faire connaître ma démarche auprès des hôpitaux, des écoles, des PMS. À l'époque où j'ai commencé, il y avait véritablement un tabou : les enfants étaient exclus du processus de deuil ou d'accompagnement des familles touchées par la maladie. L'idée d'accueillir des enfants dans les hôpitaux était quelque chose de tout à fait neuf aussi. Les choses ont évolué depuis. Le projet a pu être mis sur pied dans le cadre de l'association Cancer et psychologie. Toute l'équipe a été enthousiaste, notre travail est maintenant reconnu par la Région wallonne et la Cocof. J'ai ensuite pu commencer des groupes dans la région de Namur.

Esprit Libre : Concrètement, comment se passe l'accompagnement ?
Delphine Bauloye : On propose aux enfants cinq séances qui durent trois heures, à raison d'une fois par mois. La dernière demi-heure est consacrée à l'échange avec les parents. Un des objectifs est de rétablir une communication entre les enfants et leurs parents. On n'accompagne pas les parents dans leur souffrance à eux mais on leur permet de voir que le dialogue avec leur enfant sur le deuil, la séparation et la souffrance est possible.

Esprit Libre : Nos sociétés occidentales ont occulté la vieillesse, la maladie et la mort. Est-ce pour cela que les enfants vivent de moins en moins bien le deuil ou la maladie... ?
Delphine Bauloye : Avant, on parlait facilement de la mort et très difficilement de la naissance, aujourd'hui c'est plutôt le contraire. On a perdu ce temps, ce rituel. Ces moments d'échanges sont passés aux oubliettes. Même si, de plus en plus, on recommence à parler en termes d'émotions.

Esprit Libre : Quelles réactions ont ces enfants face à la maladie ou la mort d'un proche ?
Delphine Bauloye : Souvent ils idéalisent très fort le père, la mère, le frère ou la soeur disparus. Puis l'enfant a cette pensée magique qui fait qu'il peut croire que ce qui arrive est de sa faute, suite à une dispute vécue un jour. Les deux grosses émotions qu'il est difficile de travailler avec eux sont la colère et la culpabilité. Autre constat : l'enfant va alterner les moments de tristesse et de joie. Ce que les parents ne comprennent pas toujours... Mais c'est un moyen de défense également.

Esprit Libre : Boris Cyrulnik parle de la résilience comme d'une capacité de l'être humain à surmonter les plus grands traumatismes. Est-ce ce que vous constatez dans votre démarche ?
Delphine Bauloye : Oui et l'on travaille dans ce sens-là. Autant, au départ, je me sentais l'âme d'une sauveuse, autant ce concept de résilience montre qu'il est dangereux de vouloir " sauver " les enfants de leur souffrance. Il faut plutôt se baser sur leurs propres ressources et compétences. J'ai pour ma part perdu mon père il y a six ans. D'avoir fait ce projet m'a aidé à surmonter ce deuil en faisant de ma souffrance quelque chose de positif.

Esprit Libre : Vous avez reçu le Trèfle d'or de la Fondation pour la vocation. C'est une belle reconnaissance pour un projet qui se poursuit...
Delphine Bauloye : Cela fait quatre ans que je travaille sur le terrain. J'aimerais aujourd'hui prendre le temps de faire une évaluation. Reprendre contact avec l'étranger, voir se qui se fait ailleurs également. Bref, prendre du recul.

Esprit Libre : Est-ce que vous avez d'autres projets professionnels ?
Delphine Bauloye : Je donne des cours de psychologie dans une école supérieure et je travaille également dans un planning familial. Dans ce planning, je rencontre beaucoup d'enfants qui vivent la séparation des parents. Ce n'est pas la même chose qu'un deuil mais il y a des similitudes. On m'a proposé de faire des groupes pour ces enfants-là. Pourquoi pas ?

Alain Dauchot


Le regard est bleu, la silhouette est frêle, mais la volonté semble de fer chez Delphine Bauloye, 30 ans, licenciée en psychologie à l'ULB (elle a également suivi des formations en troubles graves du développement, en matière de thérapie pour enfants et adolescents et de travail de deuil). Prix de la vocation en 99, elle a obtenu un Trèfle d'or pour continuer le projet qu'elle a lancé : un projet dédié aux enfants ayant vécu un deuil ou la maladie d'un proche.



 
  ESPRIT LIBRE > SEPTEMBRE 2003 [ n°15 ]
Université libre de Bruxelles