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Faut-il avoir peur de l'élargissement de l'Union européenne ?

L'Europe à vingt-cinq : les enjeux d'un élargissement Le premier mai 2004, la famille européenne s'est agrandie : dix nouveaux États sont entrés dans l'Union. Faut-il avoir peur de ces nouveaux venus ? Ont-ils vraiment voté européen avec les pieds de plomb ? Jean-Michel De Waele, professeur à l'ULB et directeur du Groupe d'analyse socio-politique des pays d'Europe centrale et orientale s'est penché sur ce moment-clé de notre Histoire commune. Un Coup de projecteur qui vous présente également le travail du GASPPECO.

Chez les nouveaux membres, les craintes étaient souvent liées à l'inconnu que représentait la vie dans l'Union. Qu'est ce qui allait changer dans la vie concrète ? Les prix allaient-ils augmenter ? L'industrie saurait-elle faire face à la concurrence ? Les États allaient-ils perdre leur souveraineté à peine retrouvée ? Le coût social considérable des réformes augmentait encore le malaise.

Parmi la population des quinze États membres, de nombreuses craintes se sont également fait jour. Peu de travail pédagogique a été entrepris pour expliquer aux populations les enjeux de l'élargissement. Les problèmes et les risques sont bien connus : gérer l'Europe à 25 sera difficile, il s'agit de pays qui auront besoin de moyens financiers importants pour leur développement, les risques de délocalisation d'entreprises sont réels, une pression supplémentaire sur les acquis sociaux pourrait se produire. Mais, si ces difficultés existantes font les pages des journaux occidentaux, on n'a que très peu souligné les avantages pour nos pays, de l'élargissement. Or ceux-ci sont également nombreux.

Des avantages plus nombreux que les inconvénients

L'avantage le plus important est de stabiliser politiquement et démocratiquement une zone qui se situe à nos frontières. La guerre en Yougoslavie a démontré que les dangers n'étaient pas imaginaires. Le coût et les risques d'un non élargissement seraient très largement supérieurs et infiniment plus dangereux que les difficultés posées par l'entrée des nouveaux États.

Deuxièmement, ces pays offrent des possibilités économiques fort importantes. Leurs besoins sont considérables : infrastructures, transports, secteur de services, technologies de pointe, distribution, etc. Il faut rappeler que depuis 1989 nous vendons à ces pays plus que nous ne leur achetons. S'il y a eu des délocalisations, il y a aussi eu création d'emplois chez nous.
Les exemples de l'Espagne, de la Grèce et du Portugal montrent que rapidement les salaires augmentent au niveau des nouveaux membres, même si des écarts substantiels persistent. Il ne faut pas confondre les effets de la mondialisation avec ceux liés à l'élargissement.

De plus, les populations des quinze ont tout avantage à ce que ces États soient intégrés dans le même système réglementaire européen. Un minimum de protection sociale, écologique devra être respecté ; les mêmes règles s'appliqueront aux mêmes secteurs. Ne pas élargir aurait produit à nos frontières une jungle économique sans aucun contrôle. De plus, contrairement à ce que l'on peut penser, les citoyens d'Europe centrale sont attachés aux politiques sociales. Une partie de la nostalgie pour la période communiste trouve sa source dans cette volonté d'avoir une politique sociale active.

Un choix politique à assumer

Certes, l'élargissement aura un coût à notre avis plus important que prévu si on veut le réussir. Mais même dans ce scénario, l'élargissement était nécessaire. Il comporte plus d'avantages que d'inconvénients. Nous vivons une époque de repli sur soi où les plus riches refusent la solidarité vis-à-vis des plus pauvres. Or, la solidarité est la base même du projet européen. C'est ce qui fait son originalité par rapport aux autres modèles d'intégration régionale. Refuser notre solidarité envers ces États aurait des effets sur la base même du projet européen et le réduirait à n'être qu'une zone de libre échange économique. Il s'agit là d'un choix politique dont il faut connaître les implications.

L'élargissement est un processus complexe. Il produira des effets négatifs dans certains domaines mais il convient de ne pas oublier les effets positifs qu'il produira également.
Le débat sur les effets de l'élargissement a démontré combien la méconnaissance réciproque est grande. Le mur de Berlin n'est pas tombé dans tous les esprits " ici " et " là-bas ".
Il reste un travail considérable de dialogue, de découverte de l'autre, de l'écoute de sa culture, de son histoire, à accomplir sous peine de vivre de cruelles désillusions. La crise irakienne et les divisions européennes qu'elle a provoquées en sont un signe. La construction européenne n'est pas et ne peut être qu'une question économique : elle est aussi affaire de culture, d'identité, de société civile...
L'élargissement n'est pas une fin de l'histoire... c'est son début.

Jean-Michel De Waele
Professeur à l'ULB
directeur du Groupe d'analyse socio-politique des pays d'Europe centrale et orientale (GASPPECO)

Le 1er mai 2004, l'Union européenne a connu une des dates les plus importantes de son histoire. Elle s'élargissait à dix nouveaux membres dont huit États appartenant à l'ancien bloc communiste. Une de ses missions historiques était remplie : montrer la supériorité de l'économie sociale de marché et de la démocratie représentative sur les modèles autoritaires. Néanmoins, l'approche de ce moment symbolique et historique a vu naître des réticences de plus en plus sensibles parmi les différentes populations concernées.



 
  ESPRIT LIBRE > SEPTEMBRE 2004 [ n°24 ]
Université libre de Bruxelles