Chaque mois, l'ULB et son Union des anciens étudiants éditent un magazine intitulé "Esprit libre". Pour permettre au plus grand nombre de le lire, notamment nos diplômés séjournant à l'étranger, nous vous proposons ici une version "Web" du magazine. Pour des raisons de simplicité et pour vous éviter le chargement de fichiers trop lourds, cette version a sa mise en page propre dans laquelle nous avons choisi de ne garder que les textes et de ne pas reprendre les illustrations.

Pour la première fois dans l'Histoire, l'Europe politique rejoint ses dimensions géographiques. Et pour la première fois aussi, pas besoin d'invasion, de guerre ou d'annexion pour tenter d'y parvenir. La négociation et la démocratie ont donc abouti là où le fer et le feu ont toujours fini par échouer. En tant qu'humanistes, cette victoire de la sagesse sur les passions et de l'esprit d'harmonie sur la volonté de domination ne peuvent que nous réjouir. Désormais, en Europe, plus de bruits de bottes, de prisons politiques et de tortures, de colonels grecs ou de murs soviétiques. Et tout cela en moins d'une trentaine d'années !
Voilà ce que dit le coeur.

Mais la raison a-t-elle totalement triomphé ? Ici, il faut bien reconnaître que la réponse est plus nuancée. Nous observons que le contrat social et politique qui doit fonder cette Europe n'existe pas encore, et que ses valeurs mêmes font l'objet d'un débat qui n'est pas épuisé. D'Est en Ouest et du Nord au Sud, les différences de revenus, de pouvoir d'achat et de protection sociale sont immenses, ouvrant le champ aux délocalisations et à des menaces de dérégulation. De surcroît, si, dans certains pays, l'Église et l'État sont clairement séparés, dans d'autres, la religion continue à jouer un rôle dirigeant. Enfin, sous l'angle de la politique de défense et de sécurité, de la diplomatie commune, de la protection de l'écosystème, nous n'en sommes qu'aux balbutiements.

Dans tous ces domaines, comme depuis toujours dans son Histoire, l'Europe peut compter sur le dynamisme de ses Universités, et au sein de celles-ci, la nôtre entend jouer un rôle moteur. En effet, si le processus de Bologne a permis d'abaisser les anciennes barrières, il a aussi jeté des ponts, institué des collaborations et des échanges étroits, et commencé à stimuler une efflorescence intellectuelle jamais vue jusqu'ici. Les projets communs se multiplient, et chaque jour de nouvelles synergies se mettent en place. C'est pourquoi, située au coeur de cette Europe sur échafaudages, l'ULB entend susciter la création d'un véritable pôle de valeurs.

En effet, l'Université peut, et doit, jouer un rôle crucial dans la construction d'un monde plus stable et plus équitable. Face à la montée des extrémismes religieux et idéologiques, face au communautarisme et à l'égoïsme, l'Université doit s'engager résolument pour défendre ses valeurs, qui sont aussi celles qui fondent nos démocraties. C'est pourquoi l'ULB entend contribuer au lancement d'un réseau de grandes universités qui, au niveau local, européen et mondial, oeuvrera au dialogue, à la solidarité et au progrès.

Bien entendu, pour parvenir à tirer tous les effets d'une situation politique et géographique exceptionnelle, il faut encore que notre Université dispose des moyens de mener ces projets à bien. En particulier, il me paraît que nos liens sont encore par trop distendus avec la Région de Bruxelles-Capitale. J'ai vu, partout où je me suis rendu ces dernières années, combien les capitales et les grandes villes européennes intégraient leurs universités dans leur effort collectif et je n'ai pu m'empêcher de comparer et d'en conclure qu'ici, nous avions encore des progrès à accomplir. Aussi, l'ULB va-t-elle prendre des initiatives concrètes pour que, entre notre Région et sa plus grande Université, des projets et des moyens plus importants et plus nombreux se mettent en place. Je suis persuadé qu'au moment où notre nouveau gouvernement met en place sa politique, cette ambition-là trouvera toute sa place.

Pierre de Maret
Recteur