Université : un miracle belge ?
Esprit Libre : Lors de la journée d'étude sur le financement des universités qu'organisait le Centre de l'économie de l'éducation de l'ULB,
vous posiez une question-clef : " Recherche, financement et excellence scientifique des universités : un miracle belge ? ".
Alors, pourquoi parler de miracle ?
Michele Cincera : Je parle de miracle parce qu'au cours des dix dernières années, le nombre d'étudiants n'a cessé de croître, les missions de
l'université n'ont cessé de s'étendre alors que les moyens, eux, sont restés identiques, voire proportionnellement, ont diminué.
La question est donc là : comment réussir à faire plus et mieux avec moins de moyens ?
Esprit Libre : La question est-elle spécifiquement belge ?
Michele Cincera : Non. Si on regarde les dépenses par étudiant, on remarque que la Belgique est un peu au-dessus de la moyenne européenne. Mais
si on compare ses budgets à ceux de la Finlande, de la Suède, des Pays-Bas ou de l'Irlande, par exemple, on voit que la Belgique
est à la traîne. Si on affine en distinguant le nord et le sud du pays, on constate que le fossé se creuse : les budgets en
euros constants alloués en Communauté flamande ont augmenté alors que ceux de la Communauté française stagnent.
Esprit Libre : Néanmoins, nos universités maintiennent un bon niveau de qualité, comme en témoignent de nombreux classements internationaux.
Michele Cincera : Oui, la Belgique se défend bien : le nombre de publications qui est un peu un baromètre de notre production scientifique,
est chez nous supérieur à la moyenne européenne et du Japon, mais en-deçà des États-Unis. Et à nouveau, si l'on affine les
statistiques, on constate qu'en Europe, de petits pays tels que les Pays-Bas ou le Danemark publient plus que nous. La question
est bien sûr : jusqu'à quand nous maintiendrons-nous ? Elle est d'autant plus pertinente qu'avec le processus de Bologne,
la mobilité des étudiants et des chercheurs s'accroît, avec pour conséquence la concurrence croissante entre universités d'Europe.
Esprit Libre : Comme souvent, le problème est aussi celui du financement. Quelles pourraient être les solutions ?
Michele Cincera : La première réponse est bien évidemment liée aux priorités politiques des pouvoirs subsidiants tels que la Communauté française,
la Région bruxelloise ou la Région wallonne. Mais il existe également des sources de financement alternatives, qu'il s'agisse
des fonds européens ou de fonds privés. À titre d'exemple, des auditoires de la KUL portent le nom de certaines entreprises,
ce qui montre que le mécénat ou le partenariat université-entreprise peut prendre des formes très diverses. La formation continue
pour adultes, avec un minerval adapté, est aussi une piste. À ce propos, je rappelle que la Grande-Bretagne a développé fortement
son offre de 3es cycles universitaires, attirant par là-même de nombreux étudiants asiatiques. Il est également primordial
de multiplier les collaborations, réalisant ainsi des économies d'échelle : les pôles d'excellence européens, les académies
en Communauté française s'inscrivent dans cette logique. Reste aussi toute la question de la valorisation de la recherche
fondamentale avec le dépôt de brevets, la création de spin-offs, etc.
Esprit Libre : Valorisation : la mission est de plus en plus souvent mise en oeuvre mais suscite encore une certaine méfiance auprès de nombreux
chercheurs...
Michele Cincera : Oui, et à juste titre : ces chercheurs craignent qu'on s'oriente quasiment exclusivement vers la recherche appliquée, avec
une finalité économique bien déterminée. Or, ce serait une erreur majeure : la recherche fondamentale est essentielle si l'on
veut découvrir, innover et à terme valoriser. Les États-Unis l'ont bien compris : c'est le pays où les collaborations avec
l'industrie, la création de spin-offs et le dépôt de brevets sont très développés mais aussi où la recherche fondamentale
est largement soutenue, soit par des fonds publics tels que le National science foundation, soit par des entreprises privées.
Les universités devront être de plus en plus imaginatives et créatives pour assurer leur financement. Elles devront aussi
être vigilantes : la Grande-Bretagne, par exemple, s'apprête à augmenter fortement ses minervals, rendant ainsi l'accès à
l'université moins démocratique. Les dérapages existent.
Nathalie Gobbe
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" L'Université et ses transformations ". Vaste thème que le Centre de l'économie de l'éducation a décidé d'aborder à travers
un cycle de conférences lancé en mai dernier. En guise de " mise en bouche ", le Centre a organisé une journée d'étude " Financement
des Universités ". Rencontre avec un des intervenants lors de cette journée, Michele Cincera, chargé de cours au Dulbea, ULB.
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L'Université et ses transformations
Cycle de conférences organisé par le Centre de l'économie de l'éducation.
Prochains rendez-vous : lundi 5 septembre, 14h30. G. Bertrand, ancien président de l'Université de Bourgogne et ancien président
du Comité national d'évaluation à Paris. Vendredi 30 septembre, 14h30. Kenneth Bertrams, docteur en Histoire ULB, chargé de
recherche FNRS.
Informations : Patricia Dekie, 02 650 41 73 ou pdekie@ulb.ac.be
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