IBMM : parutions estivales
Comment l'apoL-1 tue-t-elle les trypanosomes ? La question préoccupait depuis plusieurs mois l'équipe du professeur Étienne
Pays, à l'Institut de biologie et de médecine moléculaires (IBMM). Elle a désormais trouvé réponse comme on peut le lire dans
les colonnes de la revue Science. L'apoL-1, c'est cette protéine du sang humain capable de tuer le parasite trypanosome. Comprendre
le mécanisme par lequel elle agit, c'est ouvrir une voie vers un médicament qui pourrait être actif contre toutes les formes
de trypanosome et donc enrayer la maladie causée par ce parasite, la maladie du sommeil qui, rappelons-le, touche près de
45 millions d'êtres humains en Afrique.
Maladie du sommeil, cancer...
Le pari scientifique est gagné : la fonction de l'apoL-1 est comprise. Les chercheurs de l'IBMM ont démontré que l'apoL-1
est une protéine formatrice de pores ioniques dans des membranes cellulaires. De plus, l'apoL-1 possède un module d'envoi
de la protéine sur des membranes biologiques diverses. Très schématiquement, l'apoL-1 est donc capable de cibler et de percer
une membrane cellulaire. Et c'est ce qu'elle va faire dans le trypanosome.
L'apoL-1 entre dans le trypanosome simplement via son " alimentation " : le trypanosome se nourrit d'HDLs du sang, où se trouve
l'apoL-1. Celle-ci est tout naturellement amenée au compartiment digestif du parasite, le lysosome. L'apoL-1 s'installe dans
la membrane du lysosome et y crée des pores anioniques : des ions chlorure passent du cytoplasme vers le lysosome tandis que,
par effet osmotique, l'eau entre dans le lysosome. Donc, le lysosome gonfle.
Et c'est l'effet de cascade : la perte d'ions chlorure dans le cytoplasme entraîne automatiquement un effet compensatoire,
l'entrée d'ions chlorure du milieu extérieur vers le cytoplasme. Ces ions sont à leur tour envoyés vers le lysosome par les
canaux créés par l'apoL-1, ce qui augmente l'entrée d'eau dans le lysosome. Le lysosome gonfle en continu, de manière incontrôlée
pour occuper presque tout le volume de la cellule qui finit par mourir.
Voilà comment en créant ces pores ioniques, l'apoL-1 tue le trypanosome. Démontrer la fonction d'apoL-1 est crucial pour traiter
la maladie du sommeil, on l'a compris. Mais, les perspectives médicales ne s'arrêtent pas là. Au regard de sa fonction, des
chercheurs font l'hypothèse que l'apoL-1 pourrait utilement intervenir pour tuer des cellules cancéreuses. On a aussi démontré
que la surexpression de l'apoL-1 est une caractéristique du cerveau schizophrénique et le professeur Pays de s'interroger
: " Serait-il possible que cette protéine apoL-1, capable d'affecter l'électrophysiologie des membranes, dérègle nos propres
neurones dans certaines conditions pathologiques ? Qui aurait pu prédire que l'étude d'un parasite africain puisse nous mettre
sur la piste d'un traitement possible d'un désordre neurologique ? ".
Le nucléole à découvert
À quelques laboratoires de là, un autre chercheur s'étonne encore, lui aussi, de sa découverte. Denis Lafontaine et son équipe
ont cassé un dogme vieux de 30 ans : ils ont démontré que dans la majorité des organismes eucaryotes, le nucléole contient
seulement deux compartiments. Et ce qu'on pensait jusqu'alors - à savoir que le nucléole présentait trois compartiments -
n'est valable que pour les organismes eucaryotes dits amniotes, apparus tardivement, soit les oiseaux, les lézards et les
mammifères. Deux ou trois compartiments, qu'importe ? L'intérêt pour les chercheurs est bien évidemment de comprendre pourquoi
un 3e compartiment est apparu à un stade plus avancé d'évolution. Et à travers cette compréhension, de découvrir de nouvelles
fonctions encore cachées du nucléole.
On le sait, le nucléole est la " machine à fabriquer " les ribosomes qui eux-mêmes fabriquent nos protéines. Au-delà de cette
fonction-clef, le nucléole joue d'autres rôles - on pense notamment à la régulation fine du cycle cellulaire et donc, à des
perspectives dans le traitement du cancer. Et pour découvrir ces fonctions, il convient tout d'abord de comprendre la structure
du nucléole. D'où l'intérêt d'avoir mis à jour cette dichotomie en deux ou trois compartiments, qui trahit des densités différentes
donc des compositions différentes, donc des fonctions distinctes.
Boules de Noël
Autre découverte récente de l'équipe " Métabolisme de l'ARN " : l'identification de la première protéine impliquée dans la
fabrication des " boules de Noël ". Entendez... Depuis une trentaine d'années, les biologistes connaissent l'existence de
ce qu'on a appelé " arbres de Noël " ou arbres de Mïller - les branches de ces arbres n'étant autres que les ARN ribosomiques
en cours de fabrication et le tronc, les gènes de rDNA. Il y a moins d'un an, des chercheurs américains découvraient la signalétique
d'assemblage de ces " arbres ". Cet été, une nouvelle étape a été franchie à l'IBMM : l'identification de la protéine permettant
de créer les boules de Noël en question. On est encore très en amont de toute application clinique mais, qui sait : la recherche
n'est elle pas fascinante et imprévisible ?
Nathalie Gobbe
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Belles avancées scientifiques du côté de l'Institut de biologie et de médecine moléculaires (IBMM). Ou comment démontrer que
la science ne prend décidément jamais ses quartiers d'été...
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En savoir plus :
http://www.ulb.ac.be/ibmm
http://www.ulb.ac.be/sciences/rna
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