Robert Paxton - Régimes fascistes : un pan d'Histoire révolu ?
Depuis plusieurs décennies, Robert Paxton se penche sur le phénomène fasciste. Au fil de ses recherches, l'historien se rend
vite compte que la littérature qui a trait au fascisme pèche la plupart du temps par une approche abstraite et sèche. Oubliant
d'éclairer les zones d'ombre d'un phénomène marqué par la fièvre et le mysticisme, mais aussi par l'opportunisme de certains
hommes qui ont su surfer sur des contextes favorables ; contextes sans lesquels ils n'auraient pu asseoir leur pouvoir.
Cinq étapes
Paxton distingue cinq étapes dans la montée du fascisme. Le mouvement apparaît vers 1919. Après la seconde guerre mondiale,
en Allemagne, le Parti national-socialiste commence à rassembler les mécontents ; un certain Hitler s'élève contre la nation
décadente. Les nazis s'attaquent aux multinationales, menaçant d'exproprier les grands propriétaires. En Italie, Mussolini
s'oppose aux socialistes. Ces deux chefs fascistes, nous dit Paxton seraient passés aux oubliettes de l'Histoire s'ils ne
s'étaient découvert d'autres missions. Les chemises noires de Mussolini, par exemple, se transforment en gardes des grands
propriétaires fonciers. La révolution fasciste évolue, s'adapte, en gommant par exemple les aspérités de programmes trop radicaux.
Le fascisme ne s'explique pas isolément de son contexte (les milieux d'affaires étaient terrifiés par la montée communiste),
il profite des crises que traversent les États et de la manière dont ceux-ci les affrontent.
Vient le temps de la prise de pouvoir. En Allemagne et en Italie, les élites concluent des alliances avec les fascistes, pensant
pouvoir les dominer. Ce ne sera pas le cas... Ni Hitler, ni Mussolini n'aboliront la Constitution, mais l'État traditionnel
se trouvera en rivalité avec le parti fasciste et son organisation. La dernière étape décrite par Robert Paxton est la radicalisation.
Les régimes fascistes ayant besoin de triomphes pour asseoir leur suprématie. Ils auront notamment lieu en Éthiopie et en
Lybie, lors de campagnes coloniales où des atrocités seront commises par les troupes italiennes. Quant à l'Allemagne nazie,
la radicalisation conduira à la Solution finale.
Démocraties malades
Le fascisme est une création du XXe siècle. Contrairement aux systèmes politiques classiques, le système fasciste ne repose
pas sur un texte fondateur mais sur l'autorité d'un chef " naturel ", en communication mystérieuse avec son peuple et seul
capable d'incarner la nation. Il s'élabore sur la démission générale d'une société en déliquescence devant la politique du
fait accompli. Rejetant violemment la démocratie et la gauche, il vise à mobiliser les masses et à remplacer la loyauté de
classe par la loyauté nationale, la nation devant être " unifiée " et " purifiée ". D'aucuns ont voulu assimiler certaines
dictatures au fascisme. Mais, nous dit Paxton, ce phénomène est propre aux démocraties malades. Il n'existe pas dans des pays
où la démocratie n'existe pas.
Fascismes d'aujourd'hui ?
Si de nombreux mouvements et groupuscules d'obédience fasciste existent aujourd'hui, des USA à la Russie, en passant par la
France, les Pays-Bas, l'Autriche, etc., on est loin du contexte des années 20-30 qui réunissait les conditions idéales pour
l'émergence de pouvoirs fascistes. De là à affirmer qu'un nouveau pouvoir fasciste ne pourrait émerger... Rien ne permet d'en
être sûr, conclut l'historien. " Faut-il interdire ce type de parti, car la liberté doit pouvoir se défendre ? " demandera
quelqu'un dans la salle, lors du débat. Ce à quoi, le conférencier répondra qu'il est historien et non prophète. Mais qu'il
serait peut-être contre-productif d'en faire des martyrs.
Alain Dauchot
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Comment un intellectuel comme Heidegger a-t-il pu être attiré à un moment de sa vie par les sirènes du fascisme, s'interrogeait
Michel Meyer, en introduction à la conférence donnée par Robert Paxton, en mai dernier, dans le cadre de Cultures d'Europe
? L'historien américain ne répond pas directement à cette question. Mais son analyse du phénomène fasciste nous permet d'imaginer
des esquisses de réponse. Et s'il ne donne pas non plus une définition figée du phénomène fasciste, Robert Paxton en dresse
néanmoins les contours et la dynamique évolutive qui permet à la bête immonde d'éclater dans un contexte donné.
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Robert Paxton
Né en 1932, Robert Paxton a grandi à Lexington, petite ville de Virginie et a étudié l'histoire à Oxford puis à Harvard. Professeur
émérite à l'Université de Columbia (New York), où il a enseigné l'histoire de l'Europe contemporaine, il est célèbre pour
ses ouvrages historiques consacrés notamment à la France de Vichy. Il publiait en 2004 " Le fascisme en action " (Éditions
du Seuil).
Fumaroli, le 17 octobre
Prochain invité de Cultures d'Europe : Marc Fumaroli, de l'Académie française, professeur au Collège de France. Thème abordé
: " La République des Lettres ".
La saison 2006 de Cultures d'Europe est arrêtée. Vous aurez l'occasion d'écouter les personnalités suivantes : Axel Kahn (13
février), Gérard Mortier (13 mars), Mario Vargas Llosa (9 mai), Jean Clair (20 octobre).
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Infos : Service Cérémonies, 02 650 23 03
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