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esprit libre

[à l'université]
 
 
 
Érasme La fortune d'un grand humaniste

Esprit libre : En quoi l'étude de l'œuvre d'Érasme nous concerne-t-elle encore aujourd'hui ?
Fabrice Preyat : Le terme d'érasmisme recouvre une notion qui n'a jamais reçu de définition précise. Il désigne à la fois un mouvement suscité par Érasme et l'influence posthume de son oeuvre. Il met en relief un phénomène littéraire (celui des nombreuses imitations qu'a suscitées l'humaniste) et un système théorique censé rendre compte avec cohérence des idées philosophiques, politiques et théologiques de leur auteur. Sous l'étiquette d'érasmisme se sont ainsi confondus les mouvements les plus divers. Ces usages paradoxaux découlent des ambiguïtés internes de l'oeuvre d'Érasme qui affectionne les registres de l'ironie ou de l'euphémisme. Mais ils relèvent aussi des stratégies d'un auteur qui, tout en critiquant les déviances de l'Église, a toujours veillé à s'attirer la sympathie de ses autorités. Attentif à la construction de son image, Érasme n'a pas hésité parfois à s'autocensurer afin de brosser le parfait portrait d'un humaniste libéral et pacifiste, citoyen du monde. Cette image, entretenue aujourd'hui par les institutions européennes et les échanges universitaires, a fait les beaux jours du nationalisme néerlandais qui s'est peu interrogé sur l'orthodoxie de ces reconstructions historiographiques. Enclins à s'approprier ce fleuron du cosmopolitisme et de l'ouverture aux dissidences religieuses, les imaginaires nationaux ont largement brocardé la réalité d'un siècle tout en nuances.

Esprit libre : Ces ambiguïtés sont-elles liées au fait que la traduction relève aussi d'une interprétation ?
Martine Bracops : La traduction a joué un rôle central dans la réception des oeuvres d'Érasme. Le traducteur peut manipuler un texte, procéder à des choix personnels face à certaines contraintes linguistiques, mais la traduction peut aussi résulter de phénomènes plus larges, de l'aménagement d'une idée ou d'une doctrine opéré souvent au détriment des intentions premières de l'auteur. D'où l'intérêt de confronter au sein du colloque que nous organisons [voir encadré] les réflexions d'historiens, d'historiens de l'art, de sociologues et de philologues à l'expérience de traducteurs, sous la forme d'une table ronde.

Esprit libre : Comment est née l'idée d'un tel colloque ?
Fabrice Preyat : En travaillant sur des manuscrits du XVIIIe siècle, je me suis trouvé confronté à la condamnation d'un traducteur d'Érasme. Cette censure qui touchait un écrivain, souvent campé comme le précurseur des Lumières, posait évidemment question. Elle m'a incité à rouvrir les quelques dossiers consacrés à la réception des écrits humanistes et à y inclure les problèmes de traduction. Je me suis naturellement tourné vers l'ISTI avec lequel l'ULB collabore régulièrement.
Martine Bracops : La traduction permet en effet d'élargir considérablement l'accès à l'oeuvre. La traductologie, c'est-à-dire la réflexion sur la traduction, prend aujourd'hui de plus en plus d'ampleur. C'est notamment sur ce point que nos deux institutions se rejoignent.

Esprit libre : Quel est le partenaire du colloque ?
Martine Bracops : L'objet du colloque impliquait que l'on propose à la Maison d'Érasme, située à Anderlecht, de s'y associer. La dernière journée s'y déroulera donc. Après la table ronde et les conclusions, une visite du musée est prévue sous la houlette du conservateur, Alexandre Vanautgaerden.

Esprit libre : Envisagez-vous de joindre aux actes du colloque une traduction inédite d'Érasme ?
Martine Bracops : Nous publierons en effet un extrait des Adages (les Travaux d'Hercule). Ce texte nous a paru tout à fait approprié puisqu'il fait allusion aux préoccupations du traducteur. Nous avons donc pris contact avec le Collège européen des traducteurs (Seneffe). Le latiniste Joël Gayraud s'est consacré à la traduction du texte cet été. Il sera édité aux Éditions du Hazard (ISTI).
Fabrice Preyat : Nous y ajouterons le texte inédit qui a donné impulsion à ces collaborations, enrichi d'une apologie d'Érasme, dûment remise en perspective.

Amélie Dogot


Toujours lue et traduite, l'oeuvre d'Érasme suit son cours à travers les siècles. L'Université libre de Bruxelles et l'Institut supérieur des traducteurs et interprètes (ISTI) ont décidé de mettre à l'honneur l'un des fondateurs de la pensée humaniste. Le point avec Fabrice Preyat (Langues et littératures romanes - ULB) et Martine Bracops (Langue française - ISTI-HEB).



La raison pour guide

Desiderius Erasmus est né en 1469 à Rotterdam. Grand voyageur, il étudia dans plusieurs universités européennes et séjourna en Belgique, à Anderlecht, en 1521. Soucieux de préserver sa liberté de pensée et d'expression littéraire, c'est sur le terrain de la théologie, de l'érudition et du politique qu'il marqua son époque. Plaçant l'homme au coeur de sa pensée, Érasme consacra toute sa vie à traduire et commenter les écrivains et philosophes de l'Antiquité ainsi que les textes bibliques. En contact avec les souverains, les ecclésiastiques et les érudits européens les plus éminents, il fut aussi un pédagogue réformateur, contribuant à rénover les systèmes d'enseignement par la publication de grammaires et de traités scolaires.

Colloque international les 20, 21 et 22 septembre

" Fortunes d'Érasme. Réception et traduction de la Renaissance à nos jours ", ISTI - Rue Joseph Hazard 34 à 1180 Bruxelles. Infos : Fabrice.Preyat@ulb.ac.be

 
  ESPRIT LIBRE > SEPTEMBRE 2007 [ n°51 ]
Université libre de Bruxelles