Interaction animal-machine : à l'heure des nouveaux leurres...
ActuSciences : Qu'est-ce que LEURRE ?
José Halloy : Ce projet européen est mené depuis 2002 par le Service d'écologie sociale de l'ULB (dirigé par Claire Detrain et Jean-Louis
Deneubourg), en collaboration avec d'autres biologistes (Universités de Rennes et de Toulouse) ainsi que des ingénieurs (École
polytechnique fédérale de Lausanne). Le but est de réaliser des " sociétés mixtes " d'animaux et de machines et d'utiliser
comme modèle expérimental des insectes grégaires, des blattes, et des leurres sophistiqués, des mini-robots.
ActuSciences : Quel est l'intérêt scientifique d'un tel projet ?
José Halloy : Le groupe de Jean-Louis Deneubourg a été le premier à démontrer, expérimentalement et théoriquement, chez les insectes sociaux
comme les fourmis, que certains comportements collectifs sont auto-organisés. Pour comprendre les mécanismes à la base de
l' " auto-organisation ", on a eu recours à un système constitué d'automates rudimentaires aux capacités " cognitives " limitées.
On a montré qu'avec des règles simples, ces machines sont capables de mettre en place des comportements collectifs intelligents,
semblables à ceux des insectes grégaires ou des insectes sociaux.
ActuSciences : De quels comportements s'agit-il ?
José Halloy : Par exemple, si des abris de " conforts " différents sont proposés à des blattes, elles ne montrent pas, individuellement,
de préférence significative pour un abri donné. Par contre, on observe que l'abri le plus " confortable " est préféré par
les blattes en tant que groupe. Ce comportement collectif émergerait d'interactions entre individus qui n'agissent que localement
et ne possèdent pas d'information ou de plan global sur les tâches à accomplir. Cette forme d'intelligence résulte d'une auto-organisation
réalisée sans chef ni hiérarchie.
ActuSciences : Comment transforme-t-on un simple objet en un leurre sophistiqué ?
José Halloy : Les leurres traditionnels employés en éthologie - qui sont aussi vieux d'ailleurs que la pêche ou la chasse - ne répondent
pas à l'animal. Ils se limitent à des interactions unidirectionnelles du type stimulus-réponse. Dans notre modèle expérimental,
les mini-robots sont plus sophistiqués car ils vont communiquer, collaborer et répondre aux animaux, de manière chimique et
tactile. En effet, la machine peut émettre le signal chimique de reconnaissance de la blatte américaine, " phéromone " que
nous avons extraite et identifiée. Par ailleurs, les mouvements du robot sont ajustés pour qu'il soit " accepté " comme étant
une blatte. Ainsi, au contact d'une blatte, le robot est-il programmé pour ne se déplacer qu'après un certain temps, et avec
une vitesse non agressive. En modulant différents paramètres caractéristiques du comportement des robots, on vise à induire
des comportements non observés en absence des machines, par exemple, modifier le choix collectif des abris.
ActuSciences : Quels sont les objectifs de ce type de recherche ?
José Halloy : Le perfectionnement des leurres doit permettre d'approfondir nos connaissances sur les dynamiques des comportements chez les
animaux sociaux et permettre d'élaborer des formes nouvelles d'interaction animal-machine au niveau collectif. Partant d'un
système constitué d'une machine et de dix insectes, nous testons actuellement des combinaisons plus complexes. Parallèlement,
dans ce cadre expérimental et théorique, des systèmes artificiels (informatiques ou robotiques) sont développés pour qu'ils
soient capables de prendre des décisions collectives intelligentes, de manière décentralisée et autonome. Ces machines devraient
non seulement être acceptées par les animaux, mais aussi être de véritables " collaborateurs " participant aux tâches collectives
et les influençant.
ActuSciences : Y a-t-il des persectives d'application ?
José Halloy : Les recherches fondamentales sur l'auto-organisation des insectes sociaux initiées par Jean-Louis Deneubourg ont eu, de manière
inattendue, un grand impact en informatique et en robotique. En particulier, le développement d'automates constitue un champ
d'application qui intéresse nombre de roboticiens. Les automates envisagés ne se limitent pas à des robots mobiles. Il peut
s'agir de tout élément artificiel programmable inséré dans l'environnement d'un groupe d'animaux. À long terme, il est envisageable
d'utiliser ce type de système artificiel, notamment en agriculture, dans la gestion de groupes d'animaux. Ces machines deviendraient
nos missi dominici auprès d'animaux aussi éloignés de nous que les insectes.
Mohamed El Aydam ActuSciences
Marie José Gama ActuSciences
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Le monde des insectes intrigue et émerveille, autant qu'il agace ou nuit. Les insectes nous posent parfois des problèmes
si graves qu'ils imposent le recours à des remèdes d'urgence à peine satisfaisants. Des solutions plus efficaces à long terme
pourraient être envisagées si les comportements des sociétés d'insectes étaient mieux compris. D'où l'importance de l'éthologie
et du développement de ses outils. ActuSciences a rencontré José Halloy, coordinateur scientifique du projet LEURRE.
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Les dossiers d'ActuSciences, pour en savoir plus: http://www.ulb.ac.be/inforsciences/
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